Chapitre 13

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Je restai pétrifiée sur place. Ça n'avait rien à voir avec le froid, la pluie ou le type d'approximativement cent vingt kilos qui venait de m'écraser le pied.

Ça avait plutôt un rapport avec le quasi fantôme qui me fixait d'un air surpris, de l'autre côté de la rame de métro. Au moins, je n'étais pas la seule à avoir l'impression de rencontrer un revenant. Il était aussi ahuri que moi.

Ses dreadlocks étaient lâchées librement sur ses épaules, simplement retenues en arrière par son casque audio, comme un bandeau. Il portait un jean délavé et une chemise blanche que j'apercevais sous un duffle coat noir. Il avait un keffieh noir et blanc autour du cou. Ça me faisait une drôle d'impression de le voir vêtu ainsi. Lorsque j'avais été en sa présence, il n'avait jamais porté qu'un pantalon baggy et un débardeur usé.

Son accoutrement du jour faisait très... élégant comparé à celui dans lequel je l'avais connu.

Je dois avouer que je n'avais aucune idée de la façon dont je devais réagir. La pluie battante frappait toujours le trottoir et pourtant je n'en avais que vaguement conscience. Un combat faisait rage dans mon esprit, entre deux réactions diamétralement opposées, et pourtant aussi puissantes l'une que l'autre : rester à ma place, ou aller lui dire bonjour.

Mais je n'eus pas à tergiverser longtemps. Théo décida pour nous deux.

Il détourna tranquillement le regard, ramassa son vieux sac en toile, qui d'ailleurs jurait presque douloureusement avec sa tenue, retira son casque, se leva et traversa la voie pour me rejoindre.

Je le regardai réduire la distance qui nous séparait en clignant des paupières, décontracté, comme si c'était le geste le plus naturel du monde, comme si nous n'avions pas été séparés pendant quatre longs et agonisants mois.

Il me sourit avec douceur et prit place à côté de moi. Les muscles de mon corps qui avait résisté à la rigidité se contractèrent immédiatement. Les mains croisées sur les genoux, le dos droit comme un « I », je devais évoquer une statue de granit. Je l'observai en clignant des yeux.

Je n'arrivais tout simplement pas à croire que Théo l'Obsession était assis à côté de moi, et qu'en bonus il me souriait avec gentillesse.

Il attacha ses dreadlocks en queue de cheval et se tourna vers moi.

- Salut, Lou. Ça va ?

Quatre mots. Des mots plutôt simples, en plus. Pourtant, pendant quelques secondes, je n'ai rien compris. Mon cœur battait la chamade, une vague de chaleur venait d'envahir tous mes muscles et les détendaient lentement. De statue de granit, je passai à bloc de gélatine.

La pensée qui me heurta ensuite fut « il se souvient de mon prénom ».

Comme je remarquai qu'il attendait patiemment ma réponse, je m'éclaircis la voix.

- Salut... Théo.

J'avais eu du mal avec la première syllabe de son prénom, mais je m'en étais plutôt bien sortie. Je n'avais pas hésité longtemps et je sentais que ma voix avait été ferme et n'avait pas trop chevroté.

- Ça va... bien, oui. J'ai... un peu... fr-froid, mais ça v-va.

J'avais parlé lentement, pour prononcer correctement mes mots. Les formulations ne me venaient pas encore automatiquement, il me fallait visualiser l'orthographe du mot, me rappeler la forme que devait prendre ma bouche, ma langue etc, pour articuler telle syllabe, telle consonne... tout cela prenait un temps fou. Mais Mamou m'avait assurée que cela viendrait avec l'entraînement.

Je ne veux pas oublier le bruit que tu as fait en partantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant