24. 1508 (Partie 2)

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Le neuf septembre de cette année, elle avait recommencé, pour la dixième fois. Eugène fêtait alors ses trente-huit ans. La sensation de douleur physique n'était plus présente, mais c'est bien tout ce qui avait changé.La douleur psychologique s'était même agrandi.

Jusque là, le ventre de Marta n'avait pas arrondi une seule fois. Mais en cette année 1508, le ventre de la Duchesse avait changé de forme. Et contrairement à ce qu'on pourrait en penser, la venue de l'enfant réjouissait Marta, même si elle ne le montrait pas. Au moins, elle ne serait plus seule. Et peut-être qu'avec ce chérubin comme compagnie, l'enfer qu'elle vivait lui paraitrait plus supportable. Elle voyait en cet enfant un but pour elle. Une raison de vivre autre que de satisfaire ces gens qui ne s'intéressaient à elle que pour les satisfaire. Elle allait faire de son enfant un héritier parfait. Elle prendrait les rennes de son éducation et il aura la vie qu'elle n'a pas pu avoir. L'un des deux réussira. L'un des deux sera heureux...

Eugène aussi s'était réjoui de la naissance prochaine de cet enfant. Et il ne se cachait pas pour le montrer. A deux mois du terme, il n'y tenait déjà plus et allait souvent caresser le ventre de sa femme et lui parler, ce qui ne plaisait guère à cette dernière qui le regardait toujours faire les sourcils froncés sans pour autant protester verbalement.

23 novembre 1530...

Marta avait plus mal qu'à l'accoutumé. Elle avait dû rester couchée durant toute la semaine et le médecin lui préconisait de minimiser ses déplacements au maximum.

Durant la nuit, on alla chercher le médecin. Elle allait donner naissance à son premier enfant ! On interdit Eugène d'entrer ce qui le rendit boudeur mais Marta en était ravie. Ce moment privilégié rien qu'à elle et à son enfant. Bien qu'Eugène veuille un fils, Marta souhaitait que, comme elle, son bébé soit une fille.

Après un effort long et douloureux où la jeune femme n'avait pas pu maintenir son impassivité, son visage s'étant crispé à cause de la douleur et ayant réalisé plusieurs grimaces ainsi que plusieurs longs cris persans, Marta donna naissance à une fille baptisée Eugénie. On plongea le nouveau-né dans une bassine d'eau, ce qui provoqua plus de cris de sa part, avant de l'envelopper dans une serviette blanche propre et de le donner à sa mère qui, pour la première fois depuis très longtemps, ne put retenir un vrai sourire sur son visage. Elle embrassa le front de l'enfant et la poignée de la porte couina : Eugène entrait. Il s'assit au coin du lit, le sourire béa et glissa son doigt dans la main de sa fille qui le serra naturellement avec une force qui le surpris et le fit rire, bêtement, trouva Marta. Il embrassa sa femme sur la joue. Elle refusait qu'il lui donne un baiser ailleurs. Et bien que cela ne lui plaisait pas trop et qu'il aurait préféré le lui mettre sur la bouche, il acceptait cette restriction comme toutes les autres que lui donnait sa femme. Il ne la comprenait pas vraiment et était attristé en voyant la manière dont Marta agissait avec lui, mais il ne voyait pas quoi faire pour arranger la situation. Il n'y pouvait pas grand-chose de toute façon : Marta était de nature têtue et obstinée.

« Je peux la prendre » demanda-t-il comme s'il craignait la réponse.

Marta opina. Elle avait remis son masque dès l'instant où son époux avait franchi le seuil de la porte. Le médecin et la servante qui avait aidés  à l'accouchement quittèrent la pièce. Eugène amena des mais tremblantes vers le petit bébé endormi, les paumes refermées. On voyait clairement qu'il ne savait pas du tout comment s'y prendre et qu'il avait peur de mal faire. Marta le lui expliqua et Eugène fut surpris de ce gentil geste. Il leva des yeux pleins de gratitude et d'étonnement mais cela ne réveilla aucune réaction chez la Duchesse. Elle plaça Eugénie dans les bras de son père puis lui tourna le dos. Elle sourit, puis ferma les yeux.

Sombre Engrenage (Episode 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant