La Malédiction de la Déesse

*** Olivia ***

Quarante deux minutes. C'est le temps exact qu'il avait fallu à Olivia pour quitter la salle de réunion, prendre l'ascenseur de la gigantesque tour moche de la Défense, prendre un métro, en sortir et rentrer chez elle.

Par le plus grand des hasards, quarante deux minutes, c'est aussi le temps exact qu'il a fallu pour que son logiciel commence à poser problème. Dès la signature, les experts techniques de la société avaient intégré le logiciel dans leur réseau et téléchargé l'ensemble de ses fichiers dans les serveurs de la société. En quelques secondes, la totalité des ordinateurs de la multinationale avaient été mis à jour et avaient été convertis au fameux logiciel Harpocrate.

Elle avait été très inspirée sur le nom de ce système. Harpocrate, c'était son petit bébé et son travail le plus abouti. Presque un travail d'orfèvre. Chez les Egyptiens, l'équivalent d'Harpocrate était une divinité représentée en enfant, avec un doigt sur les lèvres. Avec le temps, les grecs puis les romains l'avaient assimilé et en avaient fait un dieu des enfants. Le logiciel d'Olivia était destiné à crypter l'ensemble des communications des ordinateurs qui en seraient équipés.

Dès le déploiement de l'application, des bugs mineurs ont été repérés. Pendant quelques minutes, on ne déplora aucun effet dramatique. Des lettres qui se mélangeaient, puis des espaces qui n'auraient pas dû exister. Mais après quelques minutes, les mots étaient échangés aléatoirement au milieu des phrases, puis des documents disparaissaient. Après une demi-heure, l'ensemble du réseau de la multinationale était paralysé. Le logiciel avait pris le contrôle de l'ensemble des ordinateurs de la boîte et déversait sur internet l'intégralité des archives et des dossiers contenus dans les ordinateurs du réseau local.

Un certain Robert Feutrain, comptable au siège social et adepte de la pornographie en ligne mais au bureau, s'était rendu compte de la situation. En voulant profiter d'une "petite pause bien méritée" comme il appelait ses séances de tripotage, il se rendit compte que les fichiers vidéos qu'il avait stocké sur son disque dur s'étaient évaporés. Il profita de sa petite pause sur internet et dès qu'il eut terminé, il retrouva l'ensemble de ses fichiers, avec ceux des autres employés, disponibles en téléchargement gratuit à partir de la page d'accueil de Google. Il n'osa pas télécharger à nouveau ces vidéos, de peur de se faire prendre par son employeur.

A peine passées les quarante deux minutes de fuites de données, les journalistes, hackers et complotistes de toute la planète se ruaient déjà sur ces documents inédits dévoilés au grand jour. Il fallut moins d'une heure pour que les premiers articles expliquant les diverses malversations de la société soient révélées au grand jour. En moins de trois heures, les actions de la multinationale avaient perdu quatre vingt dix pour cent de leur valeur.

Olivia ne comprit ce qui s'était passé que le lendemain en se levant.

Elle avait passé la soirée en restaurant puis dans un bar avec des amis à fêter son plus gros contrat. Elle rentra cependant seule, un peu déçue de n'avoir pas pu trouver un charmant jeune homme pour achever avec délices cette excellente soirée.

Au réveil, elle espérait que le virement bancaire de son gros client soit arrivé dans la nuit et elle se jeta sur son ordinateur. La page d'accueil de son navigateur ne parlait que de la mésaventure de son client. Le nom d'Harpocrate était mentionné dans plusieurs gros titres. Olivia parcourut rapidement quelques articles de journaux qui relayaient la nouvelle. Elle tenta de contacter son interlocuteur de la veille plusieurs fois, mais ses appels restèrent sans réponse. Sur internet, quelques forums spécialisés évoquaient eux aussi son logiciel et sa réputation d'excellente informaticienne s'effondrait avec la chute de la multinationale.

Une réputation, même excellente, ça tient à peu de chose en informatique.

Évidemment, elle ne reçut pas le virement bancaire tant espéré. Robert Feutrain, qui devait s'en occuper, avait d'autres choses bien plus urgentes à faire à ce moment-là