*** Athena ***

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"Vous avez raison, dit Athena en s'affalant dans son fauteuil, comme si ses jambes n'étaient plus en mesure de la supporter. Il vaut mieux que je vous raconte tout, les non-dits ce n'est pas bon. Mais essayez de ne pas m'interrompre, je risquerais de me perdre dans l'histoire."

Olivia acquiesça sans rien dire, ni faire remarquer à la déesse qu'elle ne lui avait même pas proposé un verre d'eau.

"L'histoire que je vais vous conter date d'un peu plus de mille neuf cent ans. A l'époque, la Grèce avait été conquise par les romains, mais cela ne changeait pas grand chose pour nous, les dieux de l'Olympe. En vérité, ça nous faisait du bien parce que les romains ont rapidement copié notre culture et nos usages et ont fait leur notre Panthéon. C'est pourquoi vous connaissez aussi Zeus sous le nom de Jupiter par exemple.

"Bref, jusqu'ici tout allait bien. Jusqu'à l'apparition d'une secte quelque part dans un recoin de l'Empire. Cette secte prônait, comme tant d'autres à l'époque, l'existence d'un dieu unique, et a eu la chance de pouvoir se répandre dans tout l'Empire. J'ignore le pourquoi du comment, mais d'après ce que j'ai compris, l'uniformité du territoire romain et une politique de conversions agressive auraient permis à ce culte de se développer rapidement quand d'autres cultes similaires sont restés à l'état de sectes régionales.

"Au départ, cette secte posait des problèmes aux autorités puisque ce dieu unique entrait directement en conflit avec le pouvoir romain, pour qui l'Empereur était un dieu devant lequel il fallait se prosterner. En tant que divinités grecques, ce concept ne nous dérangeait pas, mais il faut croire que pour d'autres, c'était problématique.

"S'ensuivit une période de conflits plus ou moins ouverts entre les partisans du dieu unique et les polythéistes. Les polythéistes étaient au pouvoir, mais la secte chrétienne, puisque c'est ainsi qu'on les appelait, prenait de l'ampleur et touchait de plus en plus de gens.

"Vers l'an 300, un Empereur choisit de se convertir à la nouvelle religion et là, l'histoire était pliée. Le christianisme se répandit dans tout l'Empire et on convertit, plus ou moins de force, l'ensemble de la population à ce culte, faisant tomber le polythéisme dans l'oubli."

Athena marqua une pause pour s'assurer qu'Olivia suivait bien le déroulé de l'histoire. "Jusqu'ici, cette histoire peut se retrouver dans à peu près n'importe quel manuel scolaire d'histoire de l'Europe. Ce que les livres d'histoire ne racontent pas, c'est le rôle d'Hermes dans l'explosion de cette religion chrétienne.

"Au tout début de cette histoire, la cinquantaine de chrétiens au monde n'en a rien à foutre de l'empire, de rome, de l'empereur ou du pouvoir. Ils veulent faire leur truc, de leur côté, isolés du monde et vivre à leur façon sans déranger les autres. En gros, ils vivent comme les hippies des années soixante dix et ils le vivent très bien.

Dans la bande, un des mystiques avait déjà fait partie de plusieurs sectes, c'est celui que l'on nomme André aujourd'hui. Ce type, plutôt intelligent et ouvert d'esprit,avait fréquenté divers cultes à mystères avant de se retrouver dans la bande des apôtres. Et parmi ces nombreux cultes, il a longtemps été un fidèle d'Hermes, sous une forme orientale aujourd'hui oubliée.

Hermes a été chatouillé par l'abandon d'un de ses fidèles. Il faut dire qu'à l'époque, il n'avait pas grand chose à foutre. Il est donc allé voir ce qui s'était passé. Il a rencontré Jésus, a discuté avec les différents protagonistes de l'histoire et je pense qu'il a quelque chose à voir avec la trahison du fameux Judas. Mais je ne veux pas accuser sans preuves.

Pour faire court, André est vite devenu le petit chouchou d'Hermes. Je les soupçonne même d'avoir été ensemble à un moment. Quand Jésus se fait crucifier, les apôtres voient que les choses tournent mal pour eux et décident de se séparer. André choisit de s'exiler vers la Grèce, sûrement sous l'impulsion de l'autre tocard, et là, il va réunir de petites bandes d'adeptes de sa religion.

"Le problème dans l'histoire, c'est qu'Hermes va tout faire pour aider son petit protégé. Et en quelques semaines, la petite secte familiale va séduire plusieurs cités, dont des centres culturels importants. En quelques années, la quasi-totalité de la péninsule est convertie ou sympathisante et comme les riches romains viennent en Grèce pour parfaire leur éducation et pour se reposer, les idées chrétiennes prennent racine dans l'empire assez rapidement.

"Jusque là, vous arrivez à suivre?"

Olivia hocha de nouveau la tête. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi tout le monde en voulait à Hermes, mais au moins, cette partie de l'histoire était claire.

"Et là, on saute environ deux cent cinquante ans et on arrive en 300 et quelques, au moment où tout bascule. A cette époque, le christianisme n'est pas vraiment légal dans l'Empire Romain, et pour le moment, les dieux de l'Olympe sont encore en haut du classement. Sauf que l'Empereur tombe malade. Il consulte différents oracles, pythies, aruspices, et finit dans un temple d'Hermes, un peu par hasard.

Alors qu'il prie en public, un vieux mendiant l'accoste. Aujourd'hui, tout le monde sait que ce mendiant n'est autre qu'Hermes qui ne pouvait pas laisser un Empereur entrer dans un de ses temples sans rien faire. Et au cours de la discussion, Hermes lâche le nom de Jésus et envoie l'Empereur vers une église chrétienne près d'Athènes. L'église est bâtie près d'une source d'eau pure et l'Empereur finit par guérir grâce à une diète sévère, mais cette andouille est persuadée d'avoir été sauvée par ses prières au dieu unique. Et là, je pense que vous comprenez tout.

"L'Empereur abandonne son vieux polythéisme et en quelques décennies, tout l'Empire romain nous lâche. Les chrétiens dominent et nos statuts divins en prennent un coup. Notre pouvoir baisse et nous ne pouvons plus faire grand chose. On en est réduit à survivre comme on peut.

"Pire, après avoir été pourchassés par les autorités pendant quelques décennies, les chrétiens au pouvoir décident de s'en prendre aux anciens cultes païens. Et en Grèce, les chrétiens n'y sont pas allés de main morte. Ils ont tellement bien fait le boulot que tous les lieux de culte anciens sont transformés en champs de ruine en l'espace de quelques mois. Vous avez déjà visité le Parthénon par exemple?

"Bref, pour nous, c'est la catastrophe et, par la faute d'Hermes et de ses négligences, nous avons perdu nos pouvoirs, nos domaines et nos fidèles. Merci Nikos.

La Malédiction de la DéesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant