À travers les Mondes

Malédiction

Il est un sortilège que personne n'ose nommer.

L'enchantement le plus terrible qu'un mortel puisse prononcer.

Deux âmes condamnées à servir les noirs desseins de quelques hommes corrompus par leurs propres vices.

Deux âmes effacées du monde, des mémoires, de l'histoire et de la réalité.

Deux âmes esclaves des ordres de leurs maîtres, capables de commettre le pire sans jamais laisser de trace.

Deux âmes condamnées à l'agonie, aux remords, à la souffrance éternelle.

Qu'elles puissent hurler, qu'elles puissent pleurer, plus personne ne les entendra jamais.

Et elles hurlèrent, et elles pleurèrent, mais leur voix se perdirent dans l'oreille sourde du néant.

Leurs veines furent arrachées, leur cœur leur fut ôté, mais bien qu'à vifs leur doigts ne purent se lâcher.

Car les âmes étaient sœurs et leur passion repoussa les ténèbres.

Leurs écorchures se refermèrent, leurs cœurs se retrouvèrent, leur sang se mêla si bien qu'ils ne firent qu'un l'espace d'une étreinte salvatrice.

Le sortilège ne pu jamais se terminer.

Mais le mal était déjà fait.

On dit que deux âmes à jamais parcourent le ciel.

Deux chimères au corps torturés, à la douleur si puissante qu'elle luit à travers leur peau diaphane.

Deux êtres une fois liés par l'amour, aujourd'hui enchaînés par la souffrance.

Le cœur de l'un bas dans la poitrine de l'autre.

La larme de l'autre coule sur la joue de l'un.

Ils sont liés, à la vie, à la mort.

Les premiers sujets d'une terrible malédiction.

– Madame ?

La vieille femme leva les yeux de sa marmite. Une demoiselle la dévisageait avec une sorte d'avide inquiétude, sans doute pressée que l'on réponde à sa question : la dame aux chignon gris lui adressa un sourire chaleureux et baissa le son de la télévision.

– Excusez-moi, il est rare que mon petit fils ramène des inconnues à la maison..., s'excusa-t-elle en mélangeant sa tambouille. En quoi puis-je vous aider ?

La jeune femme pinça les lèvres.

– J'aurais besoin de... Hm... Quelques conseils magiques...

L'ancienne gloussa. Le visage de son interlocutrice se décomposa, ce qui lui valut une salve de rires.

– Il n'y a de magique que ce que l'on ne peut pas expliquer, remarqua-t-elle sur un ton tout aussi amusé que bienveillant. Mais il y a bien quelques formules ésotériques auxquelles vous n'êtes vraisemblablement pas initiée...

Le brune grinça discrètement des dents avant de reformuler sa question :

– J'aurais besoin d'un moyen ésotérique pour... Retrouver quelqu'un.

La dame lâcha sa cuillère et referma sa marmite d'un large couvercle transparent sans jamais montrer son étonnement. Cette jeune demoiselle était paniquée au point où l'humour de son interlocutrice ne l'avait même pas effleuré... Et Dieu savait que Mamie avait le don de mettre les gens à l'aise. Mais ce n'était sans doute pas le moment pour s'en vexer, surtout qu'il y avait une question plus essentielle qui lui trottait dans la tête.