Les flocons dansent paisiblement dans le ciel chargé de nuages. La petite fille, les yeux rivés sur sa paire de skis, est trop occupée à perfectionner son chasse-neige pour admirer la valse de l'hiver : c'est sa première piste bleue ! Elle ne doit surtout pas tomber ! Ses parents sont juste derrière elle, il faut absolument qu'ils voient comme elle a bien appris à skier pendant sa classe de neige !
Petit à petit, l'enfant écarte ses skis et prend de la vitesse. Comme c'est rigolo de sentir l'air glisser sur ses joues ! Et puis, la piste est si jolie, toute blanche et toute brillante lorsque le soleil ne se cache pas derrière les nuages... Soudain, un sourire s'épanouit sur ses lèvres luisantes de baume à lèvre. La petite a dû se concentrer toute la matinée mais ça y est : elle se souvient de son rêve ! Elle l'a trouvé si génial que, lorsqu'elle s'est réveillée, elle a tout oublié... Alors elle s'est creusé les méninges longtemps, très longtemps pour s'en souvenir et le raconter à sa maman !
Creuser les méninges... Sa mamie dit toujours ça lorsqu'elle est en colère ; pourtant la petite fille trouve ces quelques mots vraiment drôles ! Creuser les méninges ! Creuser les méninges ! Méninges ! Elle éclate de rire et continue de descendre la piste en faisant de grand virages, tout comme son moniteur le lui a appris.
En fait, il était vraiment bizarre, ce rêve... Il y avait ce vieux monsieur qui parlait sévèrement, un peu comme son maître d'école, et qui lui racontait une espèce de vieille légende sur un pays lointain que tout le monde avait oublié. Ou un continent, peut-être... C'est quoi la différence, d'ailleurs ? La fillette abandonne sa question pour se remémorer la suite de ses songes, le visage crispé par la concentration.
Sur ce continent, il y avait des dragons. Le maître d'école lui disait qu'il y a très longtemps, avant même que le monsieur sur la croix existe, il y avait des dragons partout sur Terre : les humains aimaient les dragons et les dragons adoraient les humains. Ils vivaient heureux tous ensemble, et même que c'était leur bonheur qui nourrissait la nature ! Mais il y a eu une guerre et les humains ont tué tous les dragons... Sauf quelques œufs, heureusement cachés par des humains plus gentils. Depuis, l'amitié entre les hommes et les dragons avait disparu et du coup, la nature allait de plus en plus mal, alors le monsieur cherchait des gens pour aider les dragons à renaître. Il avait aussi dit qu'il fallait des gens spéciaux avec un grand cœur, puisque la magie avait besoin de beaucoup d'amour et de sentiments pour exister. La petite fille sourit de plus belle. Elle aussi a un très grand cœur ! Son papa le lui dit tout le temps ! Du coup, peut-être qu'elle pourra chevaucher un dragon un jour, et faire plein de magie avec lui !
La piste se resserre et des arbres se dressent au milieux de la poudreuse. Dis donc, elle est vraiment bizarre cette piste... La couche de neige est vraiment grosse ! L'enfant s'arrête lentement et se retourne, à la recherche de ses parents, mais la pauvre a dévalé la piste tellement vite qu'elle a finit par les semer.
— Paaaaapaaaaaaaaa ! s'écrit la petite fille. Maaaaaamaaaaaaaaan !
Pas de réponse. L'enfant attend, angoissée, que ses parents la rejoignent : seulement leur arrivée tarde et leur voix ne répond toujours pas aux cris de leur progéniture... Effrayée par la solitude, la fillette décide de continuer à descendre, jusqu'à ce que le trop plein de neige l'empêche d'avancer.
— Maaaaaamaaaaaaaaan ! Paaaaaaaaaapaaaaaaaaaa !
Seul le silence lui répond. La petite fille a maintenant très peur et sens les larmes lui monter aux yeux. Elle n'aime pas quand ses parents sont loin... En plus, ces chaussures lui font si mal ! La petite force tellement pour se décoincer de la neige qu'elle finit par déchausser ses skis, dorénavant enterrés sous vingt bons centimètres de poudreuse.
— Héhoooooooooooo ?
L'écho de sa propre voix lui revient, mais pas celle de sa maman. La petite fille renifle, inquiète. Est-ce qu'elle est perdue ? Oh, non ! Et si ses parents ne la retrouvaient jamais ?! Une larme coule sur sa joue. Elle panique et se met à tourner frénétiquement sur elle-même, guettant la combinaison noire et rouge fluo de son papa : un vif scintillement attrape brusquement son regard. Il y a quelque chose dans la neige à seulement quelques pas d'elle. Peut-être que c'est quelqu'un ! Ravivée par l'espoir, l'enfant se jette de tout son corps en direction de la lumière.
Quel n'est pas son désespoir que de ne trouver personne... Il n'y a rien, ici, sauf un quelque chose enterré sous la couche de glace cotonneuse : il dépasse un tout petit peu, ce qui produit sous la lumière de jolies étincelles multicolores. Émerveillée, la fillette s'apprête à le déterrer, avant de se souvenir de l'ordre formel de ses parents de ne pas toucher aux objets qu'elle trouve dehors. Il y a plein de microbes et peut-être même qu'un chien a fait pipi dessus ! Beurk !
— Papa ? Maman ?
Les adultes ne peuvent toujours pas l'entendre. Poussée par la curiosité, l'enfant enfonce ses mains dans la neige et en extrait un objet très étrange : c'est comme un très gros œuf, tout en diamant, avec un petit animal roulé en boule à l'intérieur. On peut même voir son cœur battre ! Comme c'est beau...! Un besoin irrationnel de toucher l'objet s'empare soudain de la petite fille. N'écoutant que ses sentiments, l'enfant retire son gant et pose ses doigts nus sur la coquille givrée.
Je me réveille en sursaut, le souffle court et la nuque en sueur. Encore ce rêve...? Il ne me lâche pas ces derniers temps, à croire qu'il est gourmand de mon sommeil... Je prends une grande inspiration et enfonce mon visage dans mes mains, tentant désespérément de calmer ma respiration. Ce rêve n'est pas un cauchemar, pas dans le sens classique du terme du moins, mais il me trouble énormément... Il fait resurgir des sentiments qu'il m'a fallut des années pour enfouir tout au fond de moi, des choses qui transportent avec elles tant de souffrance que je n'ose même plus y penser.
Ce rêve est le dernier souvenir de ma famille. Les toutes dernières images avant mon enlèvement et mon arrivée sur ce continent.
Mais je ne suis pas la seule à avoir fait ce rêve : mon dragon l'a fait, lui aussi. Son âme liée à la mienne ressent les mêmes émotions que moi, ainsi que mes songes les plus intimes... Le reptile soulève l'aile sous laquelle je m'étais lovée pour dormir et pose sur moi un regard plein de compassion. Sa douceur parvient à me faire sourire, comme toujours, et je pose sur son museau une main luisante de transpiration.
— Je suis désolée de te déranger encore une fois avec ce rêve... luis dis-je.
— Tu ne le contrôles pas, me répond-il par le biais de ma propre pensée. Tu n'as pas à t'excuser.
— Tu n'as pas à souffrir de mes propres souvenirs, lui répond-je avec un sourire las.
Son regard se fait alors triste et je perçois, au fond de sa prunelle, là où moi seule peut y lire quelque chose, un brin de nostalgie. Je frotte ses naseaux avec amour et avoue dans un murmure :
— Ma famille me manque terriblement... Lorsque nous pourrons quitter cette île, je retournerai vivre avec mes proches jusqu'à la fin des temps.
Puis je pose tendrement mon front contre son museau, susurrant cette éternelle promesse :
— Mais avant toute chose, je te promet de t'aider à reconstruire la tienne.
Une vague de chaleur s'écoule dans mon esprit et dans ma poitrine, témoignant de l'amour qui me lie à mon camarade ailé. Ces mots l'ont touchés, je le sens.
Je souris.
Ma famille de sang me manquera toujours, mais rien ne pourra jamais remplacer ma famille de cœur.
* Dimension Draconique *
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À travers les Mondes
Short StoryCertains disent que les êtres humains sont des dieux capables d'engendrer à chaque pensée, chaque idée, chaque rêve un Monde unique. Qu'il existe au delà de nous-même une multitude de réalités que nous avons un jour imaginées, et peut-être visitées...