Un dernier exercice

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– J'ai fait tout ce que vous m'avez dit ! se réjouit le petit garçon en sautant dans le sable. Je me suis entraîné tooooute la journée, hier, et j'ai réussi à faire plein de trucs !

Sa professeure sourit tendrement, la main de l'enfant serrant la sienne, et l'interrogea avec douceur :

– Ah oui ? Quoi donc ? Je peux savoir ?

L'intéressé abandonna les doigts de l'adulte et se tourna vers elle en secouant énergiquement les bras :

– J'ai jeté un rocher dans la mer, j'ai fait une bataille de sable avec les enfants du village et j'ai même réussi l'exercice de la semaine dernière !

Face au sourire fier de son mentor, le jeune garçon bondit d'excitation et courut en direction des ruines immergées : la marée était basse à cette heure ci, les escaliers menant à la plate forme émergée de l'ancien temple était encore au sec. La vielle terrasse de pierre montée sur colonnes mousseuses était l'endroit parfait pour s'entraîner, assez éloignée du village pour n'importuner personne tout en offrant une vue imprenable sur les rues troglodytes, permettant à qui en aurait besoin d'envoyer un message lumineux au duo.

La petite teigne gravissait les escaliers quatre à quatre et atteignit la plateforme, haute de cinq bons mètres, en tout autant de secondes. Il continuait à sautiller dans tous les sens lorsque sa professeur gagna à son tour le terrain d'entrainement, déjà préparée à ce que l'enfant brûle les étapes de son cours.

– Madame ! Regardez ! Ellecin...

– Pas si vite, jeune homme ! Il faut s'échauffer avant de commencer à manier la magie !

– Mais...

– La concentration est très importante, je ne cesse de vous le répéter..., soupira la dame. Mon prince, avez-vous déjà oublié tout le cours que je vous ai présenté sur le pouvoir des mots ?

L'enfant baissa la tête et réfléchit.

– Les mots sont très importants puisqu'ils désignent la nature profonde des choses, récita-t-il par cœur. Les Hommes l'avaient bien compris, c'est d'ailleurs en trouvant les bons mots qu'ils ont créé le monde, mais... Mais après avoir tout créé, les mots détruisaient, alors les hommes ont changé de langue pour ne plus faire de bêtises...

– Et j'imagine que vous ne voulez pas faire de bêtises, n'est-ce pas ? l'interrogea sa professeure.

Le garçon hocha lentement la tête, maintenant conscient de son attitude.

– Je suis contente que vous compreniez, se radoucit la dame en souriant de nouveau. Assimiler cette première leçon est le plus compliqué, vous savez ?

L'enfant se redressa alors, les yeux remplis d'étincelles, et gratifia son enseignante d'un grand sourire ravi. Puis, aussi brusquement qu'il avait retrouvé son énergie solaire, ferma les yeux et prit de longues inspirations, tous les muscles du corps détendus, le son des vagues comme unique berceuse. Il resta quelques minutes à méditer de la sorte avant de rouvrir les yeux, recoiffer quelques mèches gênantes et lever les bras.

Noïtatropelhet !

Mais rien ne se produisit. L'enfant fronça les sourcils et recommença :

Tropsänrhet !

La silhouette de l'enfant se brouilla une fraction de seconde avant de retrouver sa netteté. Le garçon fronça les sourcils, vexé, et pointa le doigt vers une dalle de la plate forme en criant :

Sabàl !

Il disparut soudain pour se retrouver sur le bord opposé de la terrasse, visiblement étonné de ne pas avoir atterri là où il le souhaitait. La déception et l'épuisement se peignirent sur son visage lorsqu'il se plaignit :

– Mais pourquoi ça marche pas... C'est pas normal ! J'y arrive, d'habitude !

– Calmez-vous, mon prince. Vous ne devez pas être aussi effrayé de me montrer vos progrès ! Je suis là pour vous apprendre, non pour vous juger, vous le savez bien ! Reprenez donc quelques minutes de méditation pour prendre confiance et vous y arriverez mieux, vous allez voir.

– Mais j'ai confiance en moi ! s'offusqua l'enfant. Et je suis même super content de vous montrer ce que je sais faire ! Mais ça marche pas comme d'habitude !

Le garçon croisa les bras sur sa poitrine et commença à bouder. La professeure, habituée à ce genre de contretemps, reprit avec calme et encouragement :

– Je comprends. Il y a des journées où les forces magiques nous renient. Alors, peut-être voudriez-vous qu'on reprenne l'exercice ensemble ?

Le garçon lui lança un regard noir mais ne refusa pas. Au contraire, il lâcha un « d'accord » particulièrement ronchon qui rassura la dame. Cette dernière sourit avant de fixer une parcelle de la terrasse puis de formuler :

Noïtatropelhet.

Elle disparut en un clin d'œil, comme dans toute bonne téléportation, mais ce qu'elle vit après cela n'avait rien d'habituel.

Tout autour d'elle, les différentes étapes de sa trajectoire passaient au ralenti : elle avait l'impression d'être prise dans un tunnel de verre privé d'atmosphère, comme une fenêtre de non existence sur la réalité. L'espace autour d'elle était si vide qu'elle pouvait presque sentir son corps se faire dissoudre par le néant.

Le flot d'énergie magique qui la tirait habituellement d'un point vers un autre était faible, si faible qu'elle se demandait comment son sort avait fonctionné, mais surtout si l'énergie ambiante serait assez forte pour la faire sortir de cette stase. Elle n'avait jamais constaté un flot si faible de magie et n'en avait jamais entendu parler, ni de vive voix, ni dans les livres, pas plus que de ce froid étrange aux allures morbides qui la pénétrait jusqu'à la moelle... Elle prenait peur, lentement mais sûrement, au fur et à mesure que son corps traversait le tunnel.

Elle en sortit brusquement, à mi-chemin de sa destination, le souffle court et la peau gelée. Elle trébucha lamentablement sur le dallage, provoquant les rires de son élève : il se tût en avisant le visage blême de sa professeure, surpris au point où cet amusement facile typique des enfants le quitta définitivement.

– M-Madame... Est-ce que ça va ? balbutia-t-il.

La dame le fixa un instant, interdite, avant de se redresser péniblement et de prendre le garçon par la main.

– Le cours d'aujourd'hui est terminé. Je vous ramène chez vous.

– Pourquoi ?

– Je dois parler à vos parents.

– De quoi ? J'ai fait quelque chose de mal ? s'intéressa l'enfant, inquiet.

– Non, mon prince, tout va bien..., mentit la professeure. Ne vous inquiétez pas.

Mais il y avait bien de quoi s'inquiéter.

La magie se portait mal. Très mal. Au point où elle semblait presque... Mourir.



*Arcane, Monde des Mots*

À travers les MondesWhere stories live. Discover now