Anecdote inattendue d'un voyage au Bois de l'Aube

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Mon premier souvenir est celui des branchages foisonnants qui construisaient la voûte végétale, serrés au point qu'il était impossible de voir le ciel à travers. Les arbres qui poussent dans cette forêt sont, dit-on, si hauts que les plus basses branches sont à peine visibles : mais je n'avais en aucun cas l'intention de m'y attarder. Je savais tout cela. Tout ce qui m'importait alors se trouvait au sol, à même la terre meuble encore humide de rosée.

Je me souviens de la lumière d'Astra. Je me souviens aussi de l'éclat verdoyant que jetait l'étoile du jour sur ma peau et mes cheveux, coupés au carrés si je me souviens bien, sauvagement lâchés sur mes épaules... Une lumière saturée de chlorophylle attrapée au cœur des feuilles qu'elle peinait à traverser. Les fleurs de la forêt accueillaient ces rayons toutes corolles ouvertes, jouissant de cet environnement si fertile que même l'homme peinait à s'y établir, outre Yenseng et quelques villes plus ou moins imposantes. Cette forêt était sans doute la plus luxuriante des Quatre Royaumes, loin devant l'oasis principale d'Okthem, mais quelle planète pouvait bien rivaliser avec la flore de Vaellia ? Aucune. J'ignorais d'ailleurs si c'était à cause de cette fierté natale ou de la joie de voir toutes ces belles plantes s'épanouir, mais je m'étais mise à danser.

Mes pieds nus foulaient la terre à un rythme connu de moi seule. Je tournoyais au milieu des fleurs sauvages en souriant, le regard perdu dans l'horizon du Bois : je me souviens aussi de cette sensation d'ivresse qui envahissait mon âme, si proche de la nausée que j'hésitais presque à m'arrêter... Mais la joie semblait avoir définitivement pris le contrôle de mes membres et n'avait pas l'air de vouloir les laisser se reposer. Pourquoi étais-je heureuse ? Mais, étais-je vraiment heureuse ? Car je me sentais plutôt libre... Oui, c'était bien cela : j'étais libre. Libre de danser pieds nus au cœur de la forêt. Libre d'aller où je le désirais. Libre de rester seule parmi les arbres, tout comme je pouvais l'être à cet instant précisément parfait. Libre comme la soie de ma robe et les franges de mon châle qui virevoltaient à ma suite. Libre comme les cailloux et les graviers qui dansaient avec moi, non plus soumis à mon don mais à leurs propres émotions.

Je me souviens aussi de mon incompréhension, ainsi que de ma panique.

Je voulais hurler, je voulais stopper cette danse infernale, mais j'étais comme coincée au plus profond d'un boîte crânienne qui n'avait pas l'air de m'appartenir. Je ne contrôlait pas : j'assistais. Je voyais le paysage défiler devant mes yeux et sentais des émotions étrangères évoluer tout autour de moi.

Je ne savais pas encore comment je m'étais débrouillée pour atterrir là mais ni ce corps, ni cette âme ne m'appartenaient.

Et j'étais coincée.



*Monde des Quatre Royaumes*

( L'épopée de Sol )

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