chapitre 1.

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La prof de français parcours des yeux la salle entière. Elle nous scrute un à un sans dire un mot, comme à son habitude. C'est comme ça à chaques fois qu'elle corrige un devoir, elle a sûrement pour but de faire durer le "suspens".

Faut dire qu'elle a plus l'air ridicule qu'autre chose, là.

Mais encore aujourd'hui, personne ne parle. On préfère se regarder dans le blanc des yeux et passer le temps, ça nous évite quand même de copier un cours qu'on ne relira sûrement jamais. Enfin, pour ma part en tout cas.

Elle nous regarde toujours, mais ses yeux s'arrêtent un instant sur moi, comme d'habitude.
La moitié des élèves me regardent en ricanant, la routine.
Et puis, elle agite ma copie.

- Harry, excellent devoir, tu as eu dix-neuf.

Comme d'habitude.

Je fais l'allé-retour jusqu'au bureau pour récupérer ma feuille, toujours sous cette foule de regards moqueurs qui pensent que je passe ma vie à réviser et que j'en oublie même d'exister.
Ce qui n'est peut-être, pas si faux que ça.
En retournant m'asseoir, je reçois un bout de papier sur la tête. Je soupire et le ramasse en y découvrant sans surprise, une note pas très sympathique écrite au stylo bleu.

"T'es encore passé sous le bureau?"

J'entends les moqueries du fond de la classe, et même si ma tête est tournée vers le tableau, mon esprit n'est occupé que par un seul et même rire.

Ouais, son rire. Un rire assez aiguë et mignon, peut-être même aguicheur quand on s'y intéresse. Un rire comme les autres mais pas tout à fait. Un joli rire qui brise des coeurs, y compris le miens.

- Clara Joris.

Malheureusement, cette belle mélodie s'arrête. La prof fixe froidement le fond de la salle en attendant que la concernée décide de venir chercher son devoir.

La belle Clara se lève toujours avec un petit sourire qui nous rappelle clairement qu'elle est belle. Elle s'avançe jusqu'au bureau avec une certaine démarche provoquante et pleine d'assurance, sa tignasse rousse balaye son dos courbé et serré dans un tee-shirt court et moulant.

Quel beau spécimen.

- Six. C'est pas très glorieux. Alors, au lieu de rire comme un dindon, il serait peut-être préférable d'apprendre vos cours, mademoiselle Joris.

La rouquine la dévisage.
Si elle pouvait lui cracher dessus, croyez-moi, elle le ferait.

- C'est sur qu'avec vos dents en avant vous pouvez vous permettre de me comparer à un dindon, madame Bouillon.

Un sourire se dessine automatiquement sur mes lèvres bien malgré moi.

Lorsqu'elle retourne à sa place, je me surprends à respirer son odeur vanillée.
Elle me rend fou. Je vous jure, cette fille possède tout ce qu'il y a de plus efficace pour vous faire exécuter n'importe quoi.

Elle est grande, fine, rousse. Elle a un joli visage, quoi que très souvent maquillé. Elle a du caractère, et une voix.. envoûtante.
Elle est parfaite.

Les gens disent que la perfection n'existe pas. Ils ne doivent pas connaître ma Clara. Et c'est tant mieux car elle peut être ma perfection, à moi.

- Arrête de baver l'binoclard.

Les ricanements éclatent et mes yeux se baissent.
C'est fatiguant.

Tout les yeux sont tournés vers moi, et tous arborent un sourire silencieux. Tous me regardent, me dévisagent, et je suis encore au centre de l'attention. Pourtant, j'ai l'impression d'être seul. J'ai cette terrible impression qu'à n'importe quel moment je pourrais hurler sans que personne ne m'entende. Que ça ne servirait à rien de se jeter par la fenêtre parce que ma vie est déjà faite de vide.
J'ai cette impression permanente que j'aurais beau pleurer, casser ces foutues chaises, frapper des murs, personne ne bougera. Certains me regarderaient l'air de dire "t'as fini ?" pendant que d'autres en plaisanteraient.

Ma solitude c'est de voir que la plupart des rires qui font parti de ma vie ne sont pas les miens.

Je croise les bras sur ma table et y pose ma tête, ignorant les allés et venu des élèves qui vont chercher leur copies, ainsi que ces chuchotements souriants de ces spectateurs de ma vie.

.

On est lundi matin et comme chaque lundi matin, j'invente une excuse bidon pour ne pas faire sport.
Le cliché de l'intello mal dans sa peau vous me direz, et bien tout à fait.
Je préfère regarder de loin ces connards suprêmes de la drague, emmerder les filles qui roulent des hanches pour leur beaux yeux.

Moi je préfère rester assis dans les gradins, loin de la sueur et des bruits de basket, en luttant corps et âme pour ne pas regarder les longues et jolies jambes de Clara, s'ouvrir et se fermer comme une paire de ciseaux dansant sur mon cœur.

- Harry ? Qu'est que tu as cette fois ?

Je sursaute.

Le prof de sport venait de s'asseoir juste à côté de moi, son fidel sifflet autour du coup.
Les coudes plantés dans les genoux, il me regarde à travers ses lunettes.

- Je.. Je ne me sens pas très bien.

- Il faut être plus précis petit, c'est pas valable ça.

Je regarde silencieusement mes mains, en jetant un vif regard au terrain, là se trouve la deuxième merveille du monde.
Je n'ai pas envie d'inventer un énième mensonge. Alors je me tais.

- Tu ne pourras pas rester collé sur ce banc indéfiniment mon grand, l'année prochaine je pars en retraite, il y aura un nouveau prof de sport, et ça m'étonnerait qu'il soit aussi sympa.

- J'y peux rien, je suis asthmatique.

- Bien tenté.

Il se lève et part rejoindre ses élèves essoufflés, et au bord de l'agonie pour certains.

Monsieur Lavigne enseigne depuis l'ouverture de ce lycée, et il a toujours été bon et compressif envers moi et ce, depuis mon premier jour de seconde.

Ce jour là j'avais oublié mon sac dans le bus, je n'avais donc aucune affaires de sport, ni de quoi que ce soit d'autre sur moi. Il m'avait donc donné quelques feuilles pour mes autres cours, et, voyant que je n'étais pas vraiment partant pour courir en jean, m'a suggéré d'aller en permanence pendant son heure.

En réalité, le jean ne me dérangeait pas.

Depuis, je sèche à peu près tout ses cours en prétextant être asthmatique. Mais même si il ne me croit pas, ça ne le dérange pas.
Il dit qu'il me comprend et qu'il se voit à l'époque où il avait mon âge. Moi j'ai l'impression d'être aussi âgé que lui.

C'est déprimant.

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Harry.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant