24 - Hurricane

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DUNCAN

Décidément, je déteste les salles d'attente. Elles ont toujours une décoration douteuse qui met mal à l'aise, sont remplies de personnes bizarres, malades ou énervées. Des enfants impatients crient, des parents s'énervent. Ma jambe tressaute, je ne sais absolument pas canaliser mon stress.

Les heures passent et la salle se vide, se remplit, se vide de nouveau. Je suis seul avec pour seule compagnie un homme qui a l'air encore plus stressé que moi, et la machine à boissons qui émet plus de lumière que le faible éclairage de la salle.

— Vous attendez qui ? me demande l'homme.

Je porte mon attention sur lui. C'est un homme d'une trentaine d'années, ses cheveux sont impeccablement coiffés. Il est habillé d'un costard du même style que ceux que les hommes hauts gradés portent. Je le verrais bien être jeune PDG héritier d'une multinationale. Son blazer bleu nuit est posé sur le siège d'à côté, il défait sa cravate et tortille son cou de gauche à droite. Cet homme est passé en un rien de temps d'une personne classe à un mec débraillé qui a l'air de sortir d'un bar après que sa copine l'ait plaqué.

— Ma copine, je réponds.

— C'est grave ? s'inquiète-t-il.

J'émets un rire nerveux, je n'ai absolument pas envie de parler de ça, je suis déjà assez anxieux comme ça, si monsieur le PDG se met maintenant à me poser des questions sur l'état de Charlie, ça ne va pas le faire.

— Probablement. Peut-être qu'elle est morte et qu'ils ont oublié de me le dire, dis-je avec un rire nerveux.

L'homme fronce les sourcils et je jurerais qu'il me prend pour un fou. Il reste un long moment sans parler et ça me convient.

Ce matin, je me suis réveillé seul et j'ai été surpris. Je ne me suis pas inquiété jusqu'à ce que j'entende des râles provenant de la salle de bain. Et je l'ai trouvée allongée sur le sol, presque inconsciente. Elle était pâle et bouillante à la fois, je n'ai jamais vu quelque chose de tel. Je me suis empressé d'appeler les urgences, et me voici maintenant en train de patienter depuis quelques heures. Pourquoi je n'ai pas de nouvelles ? Est-ce qu'elle va bien ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mais je ne fais que cogiter depuis tout à l'heure, je m'imagine les pires scénarios, j'essaye de m'occuper l'esprit, de penser à autre chose, mais Charlie y est incrustée, elle revient encore et toujours, impossible de la faire dégager de ma tête.

— Et vous, qu'est-ce que vous faites là ? demandé-je à l'homme, tentant de penser à autre chose.

— Ma femme est en train d'accoucher, dit-il fièrement. C'est notre premier, un petit gars. J'étais en voyage d'affaire, je suis rentré aussi vite que j'ai pu !

— Et... vous ne restez pas avec elle pendant qu'elle est en plein travail ? demandé-je curieux.

— Si, j'y étais. Et puis je me suis évanoui. Je vais avoir un enfant ! répète-t-il fièrement.

Et Charlie n'en aura jamais.

Je ne sais même pas si j'aurai envie d'en avoir si elle n'est plus là. J'ai fait le malin, j'ai voulu profiter d'elle avant qu'elle ne parte, mais je sais très bien que quand elle partira, je serai au bord du gouffre. Plus rien n'aura de sens. Ni le surf, ni les feux d'artifice, ni les glaces Ben & Jerry's. Ni Newport, ni Portland. Ni mon avenir, ni ma vie, ni la fin.

Je m'amuse à apparenter Charlie à une tornade. Quand elle est près de vous, vous êtes tout petit, elle est forte et il faut vous accrocher. Elle vous fait vivre des choses impressionnantes, elle fait presque sortir votre cœur de votre cage thoracique. Mais quand elle a fini de tout bousiller autour de vous, quand elle s'en va et que le calme revient, tout est vide. Tout est mort et dévasté. Tout ne tient qu'à un fil ou s'est déjà effondré. Il vous faut généralement du temps pour tout reconstruire, et beaucoup d'efforts, ça ne va pas se faire tout seul.

Un médecin apparaît dans la salle d'attente et appelle l'heureux papa, il lui annonce que son enfant est né et qu'il peut le voir ; il saute pratiquement de sa chaise, oublie sa veste, revient la chercher et disparaît pour de bon. Je suis maintenant seul avec mes pensées, je me demande si la tornade est passée et si c'est déjà le moment de constater les dégâts, de pleurer et de m'armer de courage pour tout reconstruire. Parce que je ne suis pas prêt. Mais je ne le serai jamais.

— Monsieur Miller ?

Je sursaute presque sur mon siège en entendant le son de la voix du médecin qui se tient en face de moi, dans sa blouse blanche qui lui donne cet air supérieur. Il me regarde au-dessus de ses lunettes, comme s'il n'avait pas compris que c'est en regardant à travers les verres qu'on voit le mieux. Il avance vers moi, je distingue un joli stylo doré coincé dans la poche de sa blouse. Il a un badge sur sa poitrine sur lequel est écrit Dr. Livingstone.

— Vous êtes Monsieur Miller ? me demande-t-il.

— Oui. Oui, c'est moi !

— Mademoiselle Hollyer est réveillée.

Il me fait signe de le suivre, ce que je m'empresse de faire. Je me sens euphorique, Charlie est là, elle va mieux et elle n'est pas morte. Au fond, je sais que ce qui s'est passé aujourd'hui est un avant-goût de ce qui se passera réellement dans quelques jours.

Le médecin au stylo doré me désigne la chambre de Charlie et s'en va dans un couloir, me laissant seul avec mon cœur qui bat à tout rompre dans ma poitrine.

Lorsque je pousse la porte, je la vois allongée dans un lit d'hôpital, un cathéter relié à un tuyau dans le bras. Des fils sont collés partout sur elle, un monitoring indique sa fréquence cardiaque, je vois des pics monter et redescendre, j'entends des bips. Lorsqu'elle me voit entrer, elle m'adresse un sourire faible, elle a l'air fatiguée.

— Salut, dis-je.

— Salut, répond-elle faiblement.

— Tu m'as fait peur.

Je prends sa main dans la mienne, elle est glacée et semble toute fragile.

— Comment tu te sens ?

— Super, articule-t-elle avant de rire.

— Est-ce qu'ils veulent te garder ici ou tu pourras sortir bientôt ?

— Eh bien, mes parents doivent signer une décharge, ils sont en route. Je me suis fait engueuler par le docteur. Il a dit que mes parents étaient des irresponsables, que j'aurais dû être hospitalisée depuis longtemps. J'ai essayé de lui expliquer que j'ai décidé de finir ma vie libre et heureuse, mais il est de ceux qui pensent que j'aurais dû tenter la chimio et les autres trucs ultra chimiques.

J'aurais dû me douter qu'un type qui se balade avec un stylo en or dans sa poche ne pouvait qu'être un connard. S'il regardait au-dessus de ses lunettes, ce n'était pas parce qu'il est con, c'était juste sa manière condescendante de me regarder. Quel enfoiré !

— Alors je lui ai dit..., commence Charlie avant de pousser un râle de douleur.

— Chut, c'est pas grave, on parlera une autre fois, lui dis-je en serrant sa main dans la mienne.

— Ça va, tente-t-elle de me rassurer. Je lui ai dit qu'en faisant tout ça, je n'avais que cinq pour cent de chances de vivre et pendant cinq années supplémentaires grand maximum. Il ne voulait rien entendre.

— Chacun est libre de choisir comment il veut mourir. Se battre est un choix, pas une obligation.

— Toi tu me comprends, dit-elle en souriant.

Elle ferme les yeux tandis que je lui caresse sa main froide et délicate. Elle s'endort et si son rythme cardiaque n'était pas visible à l'écran, je pourrais croire que son sommeil est plus profond qu'il ne l'est.

Je m'installe à côté d'elle en faisant attention à ne pas toucher tous ses tuyaux et autres fils. Je lui embrasse le front, garde sa main dans la mienne et la regarde dormir. Désormais, chaque instant est important, chaque jour elle pourrait mourir, s'éteindre ; je ne dois en laisser passer aucun ou je le regretterai, je le sais.    

Publié le 15/01/18

MY LAST WISHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant