Relève-toi, ravale tes larmes et fout le camp ! , m'hurle ma conscience.
Je devrais peut-être l'écouter. Relever la tête, bomber le torse, sécher mes larmes, et ne plus laisser ma fierté s'effriter comme maintenant. Barricader mes émotions, ne plus me laisser atteindre par les sarcasmes d'Arthur ou de Calie, ne plus me faire avoir par la dureté d'Elias ou d'Aïka, ni par personne d'autre, d'ailleurs.
Ne plus me faire avoir.
Ne plus les laisser s'approcher.
Ne plus les laisser entrer dans mon cœur.
Oui. C'est ce qu'on va faire. Allez, Eline. Attends...Eline ? Non. Plus d'Eline. Eline, elle faisait confiance, elle était gentille, elle croyait en tout, une petite fille naïve, insouciante, stupide et impulsive.
Eline, à partir de maintenant, elle est morte et enterrée. Eline, elle n'existe plus.
Des pas s'approchent. Une main se pose sur mon épaule. Je la repousse avec rudesse. Mes yeux sont secs. Brûlant de haine et de défi.
- Eline...?
Plus d'Eline. Je m'appuie sur le mur et me relève. Mon plâtre me gêne, mais tant pis. Eline était stupide, il faut être idiot pour se blesser, ne pas faire attention. On pose une main sur ma hanche pour m'aider. Petite, aux doigts longs et agiles. Féminin. Aïka.
- Dégage, sifflais-je.
- Eline, c'est pas moi, c'est l'chef, tu sais..., tente-telle de s'expliquer malheureusement.
Je ne l'écoute même plus. Je suis déjà entrain de descendre à cloche-pied les étages, seule, par ce que je n'ai plus besoin de personne. Je ne peux plus compter sur personne. Elle tente de me rattraper, mais je ne me laisse pas faire. Je ne la laisse pas me toucher, ne l'écoute plus.
- Eline ! Crie-t-elle dans mon dos.
Plus d'Eline. Plus. Disparue. Remplacée. Morte.
Je sautille. Pas vers la chambre que je suis censée partager avec ma mentor, non, ce n'est plus ma mentor d'ailleurs. Juste une fille parmi tant d'autres, une fugueuse comme il en existe des centaines de nos jours. Je descend les escaliers, ma main s'appuyant sur le mur, mes doigts frôlant les tags et les dessins. Je ne les regarde pas. Aucune utilité. Clopin-clopant, je descend tout en bas, mon pied valide me fait mal mais je n'y fait pas attention. Les vestiges de feus de joie sont visibles dans le préau, et je vais, boitillante, tout au fond. Je me roule en boule sur le sol, excepté ma jambe cassée qui reste droite. Demain, je me couperais les cheveux. Un pont, un break, un moyen de laisser DÉFINITIVEMENT la pauvre et immonde Eline derrière moi. Personne ne vient. Tant mieux. Maintenant, je me conforme à MES lois, à MA façon de penser, je fais ce que JE veux, quand JE veux, je vis pour MOI, pas pour les autres, alors, tout ce que je vais faire, je vais le faire seule, sans aide, sans manuel, comme une grande, comme ça je pourrais dire que tout ce que je ferais à partir de maintenant, de l'enterrement d'Eline, je ME le devrais, à moi et à personne d'autre.
Alors, oui, je reste une Enfant Fugueuse Meurtrière, oui. Mais maintenant, la nourriture que je volerais, je la volerais pour moi. Je ferais en sorte de garder un toit sur la tête, hors de question de retourner chez mes vieux, non, jamais ça, je vais rester ici, squatter un peu, vivre avec les autres divergents, les autres marginaux de la société, ceux dont on n'a jamais voulu et ne voudra jamais.
Les Oubliés.
Ceux de l'autre côté, les pauvres, les loups solitaires, les Anarchistes, les SDF, les gaffeurs, les prostituées, les démesurés, les camés, les lunatiques, les suicidaires, les dealeurs, les fauteurs, les quémandeurs, les incompris, les poisseux, les batailleurs, les joueurs de poings, les poètes, les tristes, les rêveurs, les déprimés, les incorruptibles, les fugueurs, les voleurs et chapardeurs, les charmeurs, les conteurs, les menteurs, les embobineurs, les illettrés, les coléreux, les non-scolarisés, les fumeurs, les sacrifiés et scarifiés, les parents-adolescents, les artistes, les chômeurs, les fous, les anticonformistes, ceux qu'on aime et qu'on déteste, qu'on admire et qu'on dénigre, qu'on encourage et qu'on injurie, qu'on approuve et désapprouve, ceux qui créent, qui imaginent, qui inventent, qui explorent, qui vivent, bien ou mal, qui décident, qui innovent, qui comprennent, qui expliquent ou se taisent, qui voient folie ou génie, qui changent le monde, en bien ou en mal, peut-être, mais ils le changent.
Ceux qu'on feint de ne pas voir, mais qu'on ne peut pas ignorer, car ils sont là, bien présent, sous nos yeux, avec leurs idées farfelues et irréalistes, leurs pensées taboues et huées, leurs petites consciences non maintenues par le moule universel, avec leurs sourires triomphants ou enfumés d'espoir, ceux que la vie à maltraités mais qui sont toujours débout, vivant, avec les mêmes rêves.
Oui, moi je suis comme eux.
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Heyyyyyyyyyy ! Désolée d'avoir été inactive et assez incohérente ces derniers temps, mais je me rattrape avec ce chapitre, que j'aime tout particulièrement. Dites-moi ce que vous en avez pensé dans les coms, du revirement d'Eline, tout ça.
Allez, à la semaine prochaine ! ; )
@LivraMajor
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Enfants Fugueurs Meurtriers
ActionEline est en fugue. Elle est recherchée. Elle crève la dalle. Elle ne tiendra pas longtemps. Mais voilà qu'elle rencontre Kaylie, qui lui fait miroiter l'espoir d'un refuge, où elle sera en sécurité, et surtout, où elle ne risque pas de se faire tro...