Anges déchus.

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Et à cet instant précis, juste avant de prendre mon envol, accompagné de mes ailes nébuleuses, j'allai m'assoir quelque part. Un endroit inconnu, mystérieux, où je désirai simplement déguster, un dernier... mon dernier regret.
-«Vous désirez quelque chose ?
-j'apprécierais bien... deux cafés: un café noir comme la nuit, et qui de sa noirceur reflète les étoiles qui meurent aussi bien qu'il tue Morphée, s'il vous plait. Je veux tuer ce sommeil ravageur qui m'emporte et m'empêche de penser à elle... je veux juste noyer ma peine sous un voile de deuil... sans rêve, sans beauté, je veux la dure réalité, avec deux cafés, l'un poétique et l'autre rempli de deuil.
-Pourquoi une description si poétique d'un café noir ? Et ce qui m'intrigue c'est ce second café, vous êtes seul, pourquoi ne pas demander un double ?
-Vous ne comprendrez pas, certains songes sont ineffables, comme la beauté des astres qui disparaissent à l'Aurore... quant à ce second, il est pour l'autre moitié de mon âme, qui a, elle... disparue sous ses chagrins féroces.
-C'est touchant... je crois deviner la cause et la signification de votre malaise... Certes, je suis consciente d'être une simple inconnue, venue vous servir un café, dans la ville où Balzac a fait parcourir sa peau de chagrin, mais je tenais à vous exposer ma vision des choses..
Vous savez...
Il est des deuils qui portent des promesses, des promesses telles qu'aucun destin ne pourrait les contrarier. Une sorte de perte renversée ou là tristesse précède la rencontre, où les larmes sont les prémices d'une courte réjouissance. Une étoile qui nait d'une supernova en mourant doucement en un nuage, pour fondre ensuite, en soupe de plasma. Dormez monsieur, ce café vous rendra las...
-Vous n'avez pas tors jeune femme, et la beauté de vos yeux est témoin de ma compréhension à l'égard de vos maux. Vos mots, si bien choisis, vous trahissent et me révèlent que vous aussi, vous avez l'air égarée dans le souvenir d'un amant disparu.
Mais... il est des sourires qu'on n'oublie pas, des amours éternels qui ne se tarissent pas, des baisers qui, laissent un goût amer...
Enfin, il est des bourrasques de vent qui parcourent le sommet de Notre-Dame, en portant les regrets et remords des plus malchanceux, en les noyant dans la Seine, et les faisant flotter dans l'écoulement monotone de cette eau funeste... il est des êtres qu'on n'oublie pas, qu'on ne peut pas, qu'on ne veut pas oublier... de peur qu'ils meurent une seconde fois dans leur refuge de pensées.
Il est une femme, belle comme la lune, et qu'on peut approcher sans se brûler, une femme de qui l'amour est un poison intense, mortel...
-Votre langage est séduisant monsieur, pourrais-je connaitre le nom de celle qui a eu la chance d'égarer son amour dans vos regrets ?
-Nous buvions toujours un café avec Aquilina, à cet endroit, à cette heure-là... c'était notre grand rendez-vous, ces pauses qu'on prend sur la vie, quand elle nous malmène...
Alors je me rends ici, tous les soirs pour la rencontrer à nouveau dans le reflet dansant de mon café endeuillé. Pour goûter son amertume encore une fois, et me remémorer les étincelles présentes dans ses yeux quand je lui souriais... pour échapper a son absence, et pour vivre avec sa mémoire, les moments que l'on vivait avant...
Servez moi deux cafés, s'il vous plait, l'un noir comme la nuit, et l'autre resplendissant comme les ce ciel où meurent des lueurs vaines....
L'absence de la lune enduit vos yeux d'une vague nitescence, je partagerai mon café avec vous ce soir. Quel est votre nom ?»
Elle se retourna alors comme pour me charmer avec ses mystères, en prétextant deux cafés, un noir comme la nuit, et l'autre, luxuriant dans l'ombre, radieux, prodigieux, insidieux.
Malheureusement, criblé de tranchante fatigue, je me meurtris sur ma chaise et dormis jusqu'au lendemain.
Nous parlions, de tout, de rien, de sa famille et de ses remords, de sa peine, de ma lutte, de ses larmes, de mes marques au bras, des siennes qui ont cicatrisées... de tout, de rien, d'elle, de moi. Mon plan était tombé à l'eau, mais enfin, je connaissais son nom.
-Le soleil rend l'âme aux ténèbres, Aurore, c'est le crépuscule: cette tranche de mélancolie qui se faufile entre deux mondes. Regarde ces couleurs s'estomper dans les souffrances de notre sale astre.... comme une hémorragie somptueuse qui viendrait teinter les nuages d'éther...
Il est déjà l'heure: l'heure où renaissent les étoiles, cependant ce soir, leur assemblage me dépayse...
-Elles sont étranges car tes yeux n'auront jamais le même angle face à la vie, car chacun voit l'univers différemment. Car les lueurs de tes yeux disparaissent quand tes paupières viennent les caresser. Par conséquent tout est toujours différent: les étoiles, la lune, ton reflet, mes formes, mes yeux, mon esprit... et même mes sentiments.
-Ce qui me surprend aussi, c'est que je puisse les dénombrer si aisément, à croire qu'Orion les a toutes chassées...
-Pour ce qu'il s'agit de les compter, malheureusement je le peux, moi aussi. Car la pollution de la ville cache les plus belles. Car la beauté d'Andromède s'asphyxie sous cette funeste fumée se faufilant savamment dans son cœur... Car les plaies les plus profondément enterrées, dans les abîmes d'un cœur abimé, ne sont jamais visibles qu'avec un café, un esprit qui nous écoute, et un peu de jazz vieilli.
-Evidemment, évidemment... mais dans celles qui survivent, pourrais-tu me dire laquelle est la plus brillante ?
-Je pourrais juste te dire laquelle est la moins morte. C'est celle qui se reflète dans la rumeur de tes ondes quand elles pansent mes sens. C'est celle qui s'émane de ton parfum quand tu t'approches, c'est celle qui me sourit quand tu me regardes. L'étoile avec le plus d'éclat, la moins morte, pour moi, c'est celle qui tient compagnie à mon havre de paix ensanglanté de songes voraces.
-Tes mots teintés de caféine sont d'une beauté stellaire.... j'aurai encore deux "simples" questions à te poser Aurore.
-j'ai tout mon temps mon cher...
-Saurais-tu me dire combien d'entre elles, brillent encore dans notre temporalité ? Car poster son regard vers le ciel s'est croiser l'infini en un battement de cils, voyager dans le temps et pouvoir connaître toutes les vérités.
-quelle question, celle-ci tracasse encore nos scientifiques. J'y répondrai simplement en te murmurant que les plus grandes énigmes sont les plus belles, et que les briser, réduirait en cendres toutes les nuances de ta pensée enivrante. Dis-moi, pourquoi me poses-tu toutes ces questions sur ce qui nous survole ?
-c'est parce-que je perds espoir. Car la plupart des étoiles bougent et clignotent. Elles sont artificielles, elles nous mentent, et sont habitées par des voyageurs éphémères. Les chimères que créent nos esprits avides de mystère me désespèrent... combien de temps allons-nous contourner la réalité en bandant nos yeux et en vivant dans un monde qui n'est pas le nôtre ?
-nous n'avons sans doute pas la même notion de la beauté, car selon moi, la beauté, c'est comme tu dis si bien: s'entourer d'illusions.
Ce voile qui nous brouille la vision c'est le sucre qu'on incorpore au café pour atténuer son amertume, c'est les secrets qu'on donne à la vie pour lutter contre sa cruauté, son manque d'espoir c'est nous qui le remplissons.
-mais alors quel serait le sens de nos vies ? Pourquoi nous avoir donné une curiosité nous portant préjudice ?
-Je pense que le rôle de notre existence est de progresser dans le brouillard de nos neurones, tapisser notre berceau d'une douce couverture de soie, porter des gants de velours et un casque étoilé, pour atténuer nos blessures béantes, mystifier nos sens et leur prêter la singulière élégance de la monade.
-Tu sais trop réfléchir te détruit à petit feu. Oui, je sais je te connais depuis seulement quelques instants mais je le ressens. Tu es encore jeune et tu brûles. Tu brûles de douleur, de haine, d'amour, de mélancolie. Et tous ces sentiments forment un cocktail fort et en forte quantité, il mène dans l'autre monde. Le monde parallèle dont personne n'est jamais revenu, le lieu où nous irons tous un beau jour tôt ou tard.
Tu ne laisses pas la vie prendre son court, tu souhaites tout contrôler. Voir le temps s'écoulé t'effraie. Un grain tombe dans le bas du sablier et tu te rapproches de la mort. Tu penses profiter de l'instant présent mais tu ne penses qu'au futur, tu vie pétrifier. Non... Enfin tu ne vis pas, tu survie. Dans ta voix on le ressent, cette boule qui refuse de disparaitre et qui te torture. Je...
-Ne dis plus rien. Comment peux-tu comprendre tout ceci ? Comment quelque peut-il enfin comprendre mon mal être ? Qui es-tu ? Tu n'es pas ici par hasard. C'est le destin, il a croisé nos chemins et pour une raison que je n'arrive pas à comprendre.
-Tu sais, je travaille ici depuis désormais quelques années et j'en ai vu passer du monde dans ce miteux café au beau milieu de nul part. J'ai pris l'habitude d'analyser chaque client, homme ou femme, jeune ou âgée. Quand j'avais passé mon bac, que j'ai eu de justesse car je n'étais pas très doué à l'école, je rêvais de devenir psychologue, je voulais sauver des gens, les aider à retrouver une âme pur ou plus ou moins. Mais mes parents n'avaient pas l'argent alors j'ai abandonné, j'avais donc décidé de tenter de trouver des jobs temporaires. Je t'avoue que ça ne me plait pas mais parfois je fais des rencontres amicales ou malveillantes. Et en ce gris soir d'été je suis tombée sur toi comme un ange déchu s'étant écrasé laborieusement au sol. J'utilise l'adjectif "laborieusement" car quand tu as poussé cette porte grinçante en bois, ton regard m'a percé et je prédis qu'il va hanter mon esprit durant au moins quelques nuits. Tes traits sont tirés, tes cernes grandement dessinées, tes paupières pendantes, tes yeux reflétant le chagrin, tes muscles fatigués comme si la vie t'avais tout volé pour t'offrir à nue à la mort.
-Je t'avoue que la vie m'a tout pris... Mon seul amour, mon espoir, mes rêves et en échange elle m'a donné à bras ouvert sans que je ne l'accepte, le chagrin, la haine, la peur. Je suis démunie, je n'ai plus d'armure pour me protéger des coups. Je vis avec la solitude qui est devenue ma seule compagnie. Je suis un Homme banni de la société, celui qui ne porte plus un masque pour plaire à ces pitoyables gens qui se croient plus important que les autres. Je veux juste me plaire à moi et c'est déjà une grande guerre que je n'arrive pas à battre, je bats en retraite. Je suis rongée de l'intérieur et les effets extérieurs apparaissent... Tout fini par se savoir même si nous empêchons, tout secret fini toujours par être révéler à la
Lumière du jour. Mais parfois, à la surface, la révélation brûle, explose et sème des dégâts pouvant anéantir. Il reste un ou deux morceaux de vie puis plus rien, tout un empire anciennement riche à reconstruire. C'est à nous de tenter de réanimer ce feu éteint, ce cœur inanimé. Destruction de l'âme.

À la fin de cette phrase, elle aurait voulu le prendre dans ses bras, le serrer fort mais tendrement à la fois en lui répétant que tout irait bien. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait tenu personne dans ses bras et cette sensation manquante avait formé un creux dans son cœur. Elle vivait seule.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 16, 2018 ⏰

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Le bonheur suicidé.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant