Chapitre 4 - Élias

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- N'oubliez pas les enfants, demain l'école est fermée à cause de la tempête Lucas.

Des murmures se firent entendre dans la salle de classe.

- Eh non, ce n'est pas en référence au dernier Star Wars qui est sorti la semaine dernière au cinéma.  Restez bien au chaud et ne sortez pas tant que l'état d'alerte n'est pas terminé. Vous irez voir le film un peu plus tard. Nous nous reverrons après les fêtes de fin d'année.

Alors que l'institutrice rangeaient ses affaires, les enfants revêtaient chacun leur manteau. Élias, un gringalet brun aux yeux noirs, traînait, il ne voulait pas rentrer chez lui. Il aimait la voix de son professeur. Marie, qui dirigeait aussi l'établissement avait le timbre doux et chaleureux, presque celui d'une maman.  À partir du moment où il avait rejoint l'école en classe maternelle, il avait considéré Marie comme une maman de substitution. À l'époque, âgé d'à peine cinq ans, il savait déjà que le comportement de sa mère n'était pas digne d'une vraie mère attentionnée. Sans parler de son père. Mais jamais il n'aurait osé en parler à qui que ce soit, pas même à son meilleur ami Kily. Jamais, jamais. Jamais il ne le lui dirait. Il aurait eu trop honte de décevoir sa mère.

- Rangez-vous par deux et attendez sagement Oscar. Il vous raccompagnera jusqu'à l'entrée. Passez de bonnes vacances !

Des conseils plus que des ordres. L'art de Marie.

Depuis le début de la semaine, un professeur surveillait étroitement les personnes qui venaient récupérer les enfants. Élias ne savait pas très bien pourquoi, mais il avait remarqué que les adultes agissaient bizarrement depuis plusieurs jours. Ils étaient tendus. Ils avaient peurs. Le garçon supposait qu'un danger rodait dans les parages, quelque part, là-bas, peut-être caché derrière les arbres, comme dans les histoires qu'il aimait dévorer, mais il n'en savait rien.

Élias regarda par la fenêtre et soupira. Le soleil illuminait encore le ciel ce qu'il trouvait surprenant pour un mois de décembre. Oui, il faisait froid. Non, la neige ne fondait pas et tout était exceptionnel cette année. Y compris la fermeture anticipée de l'école. Et il n'aimait pas vraiment les vacances. Il aimait apprendre, toujours apprendre et, surtout, voir Marie. Pourtant la perspective des congés d'hiver lui offrait la possibilité d'un temps libre plutôt conséquent. Alors, il s'imagina tout ce qu'il pourrait faire pour s'occuper avant la rentrée : lecture - oui, la lecture, il aimait beaucoup, au coin du feu avec un chocolat chaud, jeux vidéos - encore faudrait-il pouvoir avoir accès à la console et à la télévision que son père réquisitionnaient, et dessiner - ce qu'il préférait. Il adorait créer des personnages rigolos et remplis de couleurs, il leur avait même donné des noms marrant dont il pouvait être très fier. Mais de ses créatures non plus, il ne voulait parler à personne. Élias était ce qu'on appelait un garçon secret.

- Élias, il faut mettre ton blouson et rejoindre les autres dans la file.

La douce voix de la directrice sortit l'enfant de sa rêverie. Il se rhabilla et rejoignit la colonne d'écoliers pressés de rentrer. Rangés deux par deux, ils s'agitaient en attendant d'obtenir l'autorisation de sortir de la classe. Il n'y avait plus de camarades pour tenir compagnie à Élias. Il serait seul au dernier rang de la troupe. Comme d'habitude. Il serait le gardien de la harde. Celui qui veille à ce que personne ne s'égare. Il aimait ce rôle imaginaire qu'il s'attribuait tous les jours. Être trop discret ne l'aidait pas à se faire des amis, mais à la longue, il s'était fait à l'idée et se fichait d'être seul et que personne ne s'occupât de lui.

Oscar passa la tête dans la salle de classe.

- Ils sont tous prêt Marie ?

La directrice hocha la tête et la petite troupe suivit son leader au pas. Élias n'appréciait guère Oscar, il ne souriait jamais. Il lui donnait souvent l'impression qu'il haïssait les enfants. Il laissait une distance d'au moins un mètre entre eux et lui, comme s'ils étaient tous atteints d'une maladie incurable et contagieuse, extrêmement contagieuse. Il se lavait aussi constamment les mains avec ce produit atroce qui  chatouillait le nez et que sa mère adorait.  À peine avait-il touché une poignée de porte qu'il sortait son flacon et arrosait généreusement la paume de ses mains de gel. Sa générosité s'arrêtait d'ailleurs là.

Le jeune garçon suivait ses camarades en silence. Ils traversèrent le préau qui menait à la cour. Dehors, une légère brise se levait et le soleil ne réchauffait personne. Oscar se pencha vers les enfants.

- Je vous préviens les mioches, pas de course dans la neige. C'est zone in-ter-di-te ! Vous restez au milieu de la cour, compris ?

Silence.

- J'ai rien entendu, compris ?

- Oui, mon-sieur.

Le chœur des écoliers sembla contenter le professeur qui se dirigeait déjà vers le portail pour contrôler les adultes. Il commença à trier les parents et à appeler les élèves un par un. Ce jour-là l'école finissait en début d'après-midi à cause de Lucas et pour permettre aux  familles de se retrouver tôt pour se calfeutrer à la maison. Cependant, la remise des enfants aux parents, qui trépignaient d'impatience, s'apprêtait à être longue, très longue, comme chaque jour depuis le début de la semaine. Les adultes rageaient, mais ils savaient que ces précautions concernaient la sécurité de leurs enfants. Alors, ils rechignaient moins que si les circonstances avaient été normales et se forçaient à patienter.

Élias trouvait que le professeur ressemblait à ces militaires qu'il voyait souvent en ville ces derniers mois. Ils patrouillaient régulièrement devant l'école. L'été dernier, les soldats surveillaient même les alentours de l'abbaye, beaucoup plus fréquentés que les abords de l'établissement scolaire pendant les grandes vacances. Il fallait montrer aux touristes que leur environnement était sécurisé. "Ils sont là pour nous protéger des méchants qui pourraient nous faire du mal." Sa mère ne cessait de lui répéter ces mots. Pourtant, avec leur mitraillette à la main, ces hommes impressionnaient le jeune Élias et ne le rassuraient pas du tout. Oscar lui faisait vraiment penser à ces hommes rigides et froids qui circulaient dans leurs rues. Il sentait qu'il était prêt à tout pour asseoir son autorité sur les plus faibles et en jouir pleinement. L'enfant observa son manège un instant. Il semblait vraiment prendre plaisir à contrôler les parents et de libérer leur progéniture uniquement si lui le voulait bien. Élias secoua la tête en signe de désapprobation et s'éloigna. S'occuper d'Oscar c'était perdre son temps.

Et le temps c'est précieux !

Il saisit une longue branche qui se trouvait au sol et s'échappa discrètement du troupeau pour s'approcher des congères qui s'étaient accumulées le long de l'enceinte de la cour. Du bout de  son bâton, il commença à tracer quelques traits. La résistance de la neige le surprit, elle avait gelé et s'apparentait davantage à de la glace qu'à de la poudreuse. Il gratta plus fort la surface glacée pour esquisser des formes plus ou moins arrondies.
En quelques minutes, il avait décoré un petit mètre de neige et seul, errant au milieu de ses créatures, il murmurait des histoires à qui voulait bien les entendre. Seules des oreilles averties auraient perçu les sons que chuchotaient ses lèvres. Les autres n'entendraient que des sons étranges, comme un langage mystérieux. Ses camarades de classe auraient pu croire qu'il invoquait des forces maléfiques, démoniaques, alors que, sans le savoir, il parlait à ceux qu'on appelle le Petit Peuple. Mais ce jour-là, il ne l'entendit pas et les mots susurrés par le jeune artiste se perdaient dans le vent.

L'Enfant-Double - Tome 1 - Des retrouvaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant