La décision - 1

6.7K 622 35
                                    

Illustration : © Yuuyami

La décision

Le jour où vous décidez de le faire est votre jour de chance.

- Proverbe japonais

Lorsqu'il se réveilla, la première pensée de Drago fut que quelqu'un l'avait métamorphosé en escargot. Sa joue était engluée à une surface froide et rugueuse, et quelque chose de collant l'empêchait d'ouvrir les yeux. Ces pensées absurdes furent rapidement remplacées par un mal de tête et Drago siffla en levant la tête, se soulevant sur son coude gauche. Une douleur aiguë traversa sa tempe et il ferma les yeux pour se protéger de la lumière vive qui l'agressait. Cependant, quand il rouvrit les yeux et que sa vue s'éclaircit, il s'aperçut qu'elle n'était pas vive du tout. Il faisait sombre et froid, et bien que Drago n'ait pas la moindre idée d'où se trouvait, il était clair qu'il n'était pas confortablement allongé dans son lit bien chaud. A la place, il était étalé sur le ventre, sur des brindilles et des feuilles en décomposition. 

Il regarda autour de lui et souhaita n'en avoir rien fait. Apparemment, il était coincé dans l'un de ces cauchemars où il était perdu au milieu de nulle part et ses membres refusaient de le porter, alors même qu'il savait que le danger approchait.

Une rafale de vent envoya quelques flocons de neige dans son visage et il fit la grimace. Il s'essuya la joue, en ôtant en même temps une brindille qui s'était collée à sa peau. Le bout de ses doigts effleura sa tempe et il grimaça de douleur. Son souffle fit de la vapeur devant lui quand il sursauta à la vue du sang sur ses doigts. Agacé, il se retourna sur le dos. Son bras droit qui avait été coincé sous lui le lançait maintenant que le sang se remettait à circuler. 

Des branches épaisses dansaient loin au-dessus de sa tête. Elles étaient nues et semblaient menaçantes. Elles laissaient entrevoir de petits coins d'un ciel d'hiver gris et n'étaient pas assez couvrantes pour empêcher la neige de passer. Ses mains étaient gelées et engourdies, mais il pouvait sentir les doigts de sa main droite serrés autour de quelque chose d'épais et solide. Dans un effort suprême, il se redressa en position assise. Sa tête tomba en avant comme la douleur à l'arrière de son crâne lui faisait monter les larmes aux yeux. Il écarta les cheveux humides qui lui tombaient dans les yeux et prit quelques secondes pour accommoder sa vision sur le bâton cassé qu'il serrait avec force. Sauf que ce n'était pas un bâton. C'était sa baguette

Son esprit s'éclaircit en un instant. Il n'était pas en train d'avoir un cauchemar ; ce n'était pas un rêve. On pouvait prendre un rêve pour la réalité, mais prendre la réalité pour un rêve était impossible. Peut-être que s'il avait été ivre il aurait pu espérer que ceci était un rêve, mais il ne s'était jamais senti plus sobre. Le froid qui régnait était trop cru, la douleur dans son corps trop réelle. Il était au milieu de la forêt, à moitié gelé, blessé, et sans arme. C'étaient des faits, même si cela ne rimait absolument à rien. La dernière chose qu'il se rappelait était être couché dans son lit, à penser à l'excursion du lendemain dans la Forêt Interdite. Et maintenant voilà soudain qu'il y était. Comment était-ce possible ? 

Il baissa les yeux sur sa cape d'hiver bordée de fourrure, son épaisse écharpe verte et ses bottes chaudes. La théorie d'un éventuel enlèvement s'effondra avant qu'il n'ait eu le temps de la formuler complètement. Un certain laps de temps manquait dans ses souvenirs ; il ne pouvait se rappeler s'être habillé. Il s'aperçut qu'il n'avait pas de gants, ce qui était bizarre parce que personne avec toute sa raison ne se risquerait dehors sans gants par ce temps. Cependant, il les trouva rapidement dans sa poche. Secouant la tête avec incrédulité, il y fourra sa baguette brisée et en sortit ses gants. 

Une plume bleu vif tomba lentement jusqu'au sol. Apparemment elle avait été accrochée à son gant. Avec la respiration qui s'accélérait, Drago remit la main dans sa poche et y trouva davantage de plumes bleues. 

Il les contempla, sûr d'avoir perdu l'esprit. Est-ce qu'on était demain ? Est-ce qu'ils étaient déjà partis pour leur excursion ? Mais dans ce cas, où étaient les autres ? Et pourquoi est-ce qu'il ne se rappelait de rien ? 

Il leva les yeux vers le ciel gris. Il faisait sombre, mais il faisait toujours sombre dans la Forêt Interdite, et les jours d'hiver étaient courts. Il ne pouvait pas dire quelle heure il était, mais ce n'était définitivement pas midi, et ce n'était pas la nuit non plus. Il semblait que le soleil était toujours dans le ciel, caché derrière de lourds nuages gris. Sans trop d'espoir, Drago vérifia à nouveau ses poches pour voir s'il avait pris sa montre avec lui, mais il était sûr que ce n'était pas le cas. Il avait prévu de ne pas la prendre ; il se rappelait y avoir réfléchi la veille. Sa montre gousset était en or et trop précieuse pour prendre le risque de la perdre dans cette satanée forêt. Il avait compté sur sa baguette pour avoir l'heure. Cependant, maintenant qu'elle était cassée, ce n'était évidemment plus possible. 

Il tenta de se lever mais ses jambes pesaient des tonnes et il grogna de frustration. Le son était trop fort dans la forêt silencieuse, et Drago parcourut rapidement les alentours du regard, craignant d'avoir étourdiment attiré quelque créature dangereuse. Rien ne bougeait autour de lui, à l'exception de quelques branches nues et d'une poignée de flocons de neige qui voltigeaient. Drago poussa un soupir de soulagement. Son regard s'arrêta sur quelque chose de sombre un peu plus loin, mais on aurait juste dit une souche d'arbre, à moitié enterrée dans la neige. Les arbres n'étaient pas aussi serrés à cet endroit-là et la neige recouvrait le sol et la forme sombre et gelée. Drago allait détourner le regard quand un éclair de couleur retint son attention. Il regarda mieux la forme sombre et la bande de tissu multicolore qui dépassait de la neige. Le motif semblait étrangement familier. 

Il comprit enfin et le choc le frappa en même temps qu'une rafale de vent. Hors d'haleine, il sauta sur ses pieds, oubliant aussitôt sa mauvaise circulation. Ce n'était pas une souche. Il savait exactement ce qu'était le tissu multicolore ; il s'en était moqué des millions de fois auparavant. C'était l'une de ces stupides écharpes que Granger tricotait à la vitesse d'une maniaque.
Luttant contre l'étourdissement, il se précipita en avant et marcha sur quelque chose qui se cassa sous sa botte, mais il n'y prêta pas attention. Il accomplit la distance en quatre grandes enjambées. L'air froid qu'il inhala dans sa hâte lui faisait mal aux poumons ; sa poitrine semblait trop petite pour contenir son cœur qui battait frénétiquement. Ses genoux cédèrent au moment où il aperçut des mèches de cheveux noirs qui ressortaient avec des angles bizarres, à moitié cachées par la neige. 

Les doigts tremblants, il épousseta la neige pour révéler le corps gelé d'Harry Potter, allongé face contre terre. Il l'agrippa par les avant-bras et le retourna sans douceur car il paniquait. Potter n'émit pas un bruit. Il était pâle comme la mort, et alors que Drago enlevait la neige de sa joue, il remarqua un filet de sang congelé au coin de ses lèvres bleues et gercées. Ses lunettes n'étaient nulle part aux environs. Il y avait trois bleus légers sur sa mâchoire, comme si quelqu'un lui avait donné des coups de poing, et ses yeux verts étaient fermés ; il semblait dormir. Drago espérait qu'il dormait. Il n'aimait pas le filet de sang sur sa lèvre, surtout que celle-ci ne semblait pas coupée.

Il enleva un gant et posa sa main sur la joue de Potter. 

Il était glacé. 


Jour de chance - HPDMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant