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J'ai peur de moi, peur de moi-même, peur ce que je peux faire et peur de ce que je suis. Une part de moi aimerait que tout cela s'arrête, que je ne doive plus compter à tous les repas, que je ne sois pas prise d'anxiété et de crises dès que la moindre esquisse de nourriture apparaît devant mes yeux, que je ne sois plus triste à en crever à chaque instant. Ce côté de moi aimerait que je vive, que je souris, que je rigole avec une multitude d'amis, que je me maquille comme les autres puis ensuite que je me trouve un copain qui me ferait mon bonheur.En fait, elle veut juste que je sois heureuse. Mais il y a l'autre côté, guettant comme une ombre, elle traque ces moindres moments de tentatives de vie et les emprisonne, les déchire, les éloigne. Elle est imposante, elle écrase la flamme qui me fait vivre, elle l'éteint.

Je suis rentrée, j'ai décidée de ne pas me rendre au cours de l'après-midi. Je n'ai pas entendu de bruit à la maison, j'ai essayée de ne pas en faire, peut-être que ma mère ne m'aura pas entendue et qu'elle ne dira rien à mon père. Peu importe. Après cette crise je me sentais calme et indifférente, mon père ne me faisait plus peur. Enfin pour un moment. C'était toujours comme ça après une tempête, j'avais la sensation d'être vide, insensible et aussi d'être un peu plus normale sans cette anxiété à la surface de ma peau. Mais elle ne tarderait pas à revenir, elle aussi elle guettait.
Quelques gouttes de sang perlaient de mon avant-bras, ça ne me faisait pas mal, ça picotait c'est tout. Ça aussi, c'était comme d'habitude. Je décidai de mettre un bandage autour pour dissimuler les preuves. J'en avais toujours dans mon sac de cours on ne savait jamais, cela pouvait s'avérer utile.
En plongeant la main dans la masse de manuels et de cahiers à la recherche du rouleau de bandage, je tombai sur un petit papier à la place. Il était plié soigneusement en quatre, bien droit. Il était de couleur crème et un petit oiseau ornait joliment la face du papier. Les oiseaux. Ce sont mes animaux préférés. Ils peuvent voler, ils sont libres, seuls , heureux. Moi aussi je veux apprendre à voler. Je repris possession de mes pensées et puis me dis que je n'avais pas souvenir que ce petit papier est été mis par mes soins dans mon sac ?
J'allais l'ouvrir quand les picotements de mon bras me rappelèrent ma tâche première, je jetai donc alors le papier au hasard sur mon bureau et continua mes recherches. Je le regarderais plus tard , enfin, si je n'oublie pas.
J'enserrai mes bras dans les bandages, pas trop fort, mais pas trop lâche non plus. Après cette opération, je me muni d'un maillot à manche longues. Pour cacher.
Je pris mon casque par terre et et m'allongea sur mon lit pour écouter de la musique. Je réfléchissais. Je réfléchissais toujours trop. J'avais rencontré Louison en début d'année. Louison c'est ma seule amie, celle de ce midi à qui j'ai fait faux pas tout à l'heure. Je crois qu'elle ne sait pas. Et je ne veut pas qu'elle sache . En réalité, personne ne sait. Personne. Je crois qu'elle sait que quelque chose ne tourne pas rond chez moi mais elle ne dit rien et ne pose pas de questions. Elle est vraiment patiente avec moi et je ne pourrais jamais la remercier pour ça. Des fois, j'aimerais vraiment, j'aimerais vraiment pouvoir rigoler pour de vrai, sauter dans ses bras, lui raconter mes histoires banales avec des garçons et lui dire "merci pour tout". Mais c'est trop dur, c'est au-dessus de mes forces. Je me contente juste d'acquiescer quand elle parle, je me mure dans le silence, je crée un vide constant. Mais elle, elle comble le vide. En parlant pour deux. Je ne sais toujours pas pourquoi elle est toujours là. Je n'ose pas lui demander. Je devrais. Des fois, elle m'apporte même des petits cookies maison, ils sont tout fondants et délicieux. Ils sont parfois encore chauds et je me demande si elle ne se lève pas tôt le matin pour les faire. Parfois, ça me fait juste sourire et elle comprend. D'autres fois je me contente seulement de la regarder dans les yeux et, là aussi elle comprend. Je ne la mérite vraiment pas. Je me déteste de ne pas être capable de pouvoir lui rendre tout ce qu'elle fait pour moi. Si j'étais vraiment seule, ce serait affreusement horrible. Tandis que mes pensées tournent à mille à l'heure dans ma tête, mes yeux, eux, se fermèrent tout doucement pour m'emmener loin, autre part.

Plus tard, j'ouvris les yeux avec une désagréable sensation d'être épiée, je tournai la tête et je la vis. Elle était là, devant moi, assise sur une chaise, elle me regardait sans rien dire et elle ne bougeait pas. Elle était pâle, le visage défait et parsemé de petites taches bleues, certaines plus effacées que d'autres. Elle avait les cheveux sales, emmêlés. Il y a quelques temps il n'étaient pas aussi gris, ils étaient bruns, un beau brun brillant, vivant. Maintenant, ils ont la couleur de cendre, la couleur du passé, gris. Quant à ses yeux, quand j'étais petite, ils brillaient, ils étaient emplis de vie, un belle flamme. Et maintenant ? Ils sont vides, froids, absents. Je me demandais ce qu'elle ressentait sous sa carapace. Je me relevais sans la quitter des yeux, même ses sourcils ne bougeaient pas. Je tentai un :
-Maman?
Ses lèvres s'entrouvrirent, vraiment rien, juste quelques millimètres, mon cœur explosa, allait-elle enfin me parler ?
Elle resta ainsi plusieurs instants, à chaque seconde qui passait j'espérais. Même un mot , un seul et je lui aurais pardonné. Je lui aurais pardonné l'abandon, la peur, la tristesse, la haine.
Soudain ses yeux se fermèrent et ses lèvres s'abaissèrent. Elle rouvrit les yeux, se leva doucement puis s'empara de la chaise et s'en alla.

Oh, ÉléonoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant