Il est en bas des escaliers, devant la cheminée, dans le salon, la bibliothèque sur sa droite et il me regarde fixement, ses yeux verts remplis d'amertume. Je m'arrête net dans ma course folle, quelques marches avant de me retrouver dans le salon. Après quelques secondes qui me parurent une éternité, d'un ton nonchalant, il me dit soudainement :
" Dis-moi, ça t'arrive souvent de t'installer dans une maison qui ne t'appartient même pas ?"
Je ne réponds rien, non pas par peur, mais simplement parce que je ne pouvais pas savoir que cette maison était habitée avant de m'y installer. Je le regarde sans ciller, mais ma main droite se dirige instinctivement vers mon poignard accroché à ma ceinture. Dans un imperceptible mouvement, ma main effleure le manche recouvert de cuir de l'objet. Sa voix retentit comme un claquement de fouet:
"Aryanne, je suis en possession de tout ici, même de toi. Tu ne vois pas encore à quel point tu m'es soumise. Maintenant tu vas me jeter ton arme à terre et lever tes deux mains, puis après on discutera..."
Je sursaute à son affirmation, qui par ailleurs me fais trembler de rage. Comment peut-il croire que je lui appartient, sous prétexte que je me suis installée dans une maison de son village ? Comment peut-il croire en ma soumission, que je ne donnerai pour rien au monde ? Comment peut-il croire que je vais rester ici pour discuter avec lui? Un bruissement de tissu me ramène automatiquement à la réalité et je me rends enfin compte de quelque chose que je n'avais pas remarqué jusqu'alors. Il tient mon sac dans sa main. Mon corps se crispe d'un coup et mon esprit se met à réfléchir à toute vitesse. Je dois partir d'ici, mais pas sans mon sac, qui est ma bouée de sauvetage. L'inconnu remarque mon malaise et me dit en levant son bras :
"C'est ça que tu cherches ? "
Visiblement, il sait s'y prendre et ne compte pas me rendre mon sac. Tant pis, je saute les dernières marches, le bouscule et prends mon sac. Il ne s'attendait pas à une telle réactivité de ma part et tombe à la renverse sur le sol. Je profite de cette avance et cours vers la porte, malheureusement fermée. J'actionne la poignée mais elle ne daigne pas s'ouvrir: elle est fermée à clé. A ma droite, dans la bibliothèque, je vois une fenêtre. Elle n'est qu'à quelques pas de moi, sur ma droite. Je me précipite à la fenêtre, l'ouvre d'un coup, m'appuis sur le rebord et saute.La poussière me rentre dans les yeux et la bouche, mais je me relève et cours. Où ? Je ne sais pas. Je ne connais rien ici. Je ne peux pas passer la nuit dehors sans risquer que cet inconnu me retrouve et me tue, ou pire, fasse de moi son esclave. Mais je ne peux pas non plus emprunter le chemin inverse et retourner dans ma Ville, la Ville n° 523, sans risque de me faire emprisonner. Je sors du village au sud, la direction opposée de la Ville. Peut-être qu'avec un peu de chance, il ne connaît rien sur moi et ne sait pas d'où je viens, ce qui serai logique.
Après une course effrénée de plus de vingt minutes, mes jambes me lâchent au milieu de nulle part, dans le désert, créé après la Guerre de la Fin. Le soleil n'est pas encore couché et des nuages s'amoncellent déjà dans le ciel ; la nuit va être fraiche. Ce n'est qu'alors que j'entend la longue supplication de mon ventre. Je fouille machinalement dans mon sac à la recherche d'une Ration, mais ne trouve absolument rien. Mon sac est vide. Il a vidé mon sac. Je n'ai plus rien. Une rage intense monte au fond de moi. Je jette le sac au sol, par dépit ou par colère, je ne sais pas. Je crie, je hurle, mais rien de tout cela m'aide. Les oiseaux s'envolent au loin, apeurés par mes cris bestiaux. Mes cris se transforment en pleurs. Pourquoi suis-je allée dans ce village ? Pourquoi ai-je décidé de rentrer dans cette maison ? Pourquoi ai-je laissé mon sac sans surveillance ? Pourquoi suis-je partie aussi loin de la Ville ? Pourquoi suis-je seule ? Pourquoi ma famille a été tuée et pas moi ? Pourquoi ma mère n'est pas ici pour m'expliquer mon destin, qu'elle voyait très grand ? Mes pourquoi n'ont plus aucun sens, ma tête tourne et l'oxygène commence à me manquer. J'inspire profondément, peut-être dans l'espoir de me calmer, mais mes pleurs et mes cris ne font que redoubler d'intensité. Je tombe à genoux dans la terre craquelée et asséchée. Des cailloux rentrent dans ma peau. Un coup de vent me fait tomber en avant, mes mains s'écorchent en rattrapant mon corps presque inanimé. Je me roule en boule au sol, les mains et les genoux ensanglantés contre ma poitrine, tâchant mon débardeur, puis ferme les yeux, des larmes continuant de couler contre mes joues.
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Le mystère des lettres
Ciencia FicciónComment serait le monde après une guerre nucléaire qui aurait anéanti toute la population sauf quelques milliers de personnes ? Quel avenir pour ces personnes plus qu'exposées aux aléas de la vie politique ? Et si maintenant des lettres écrites cent...