8. Mer d'acier

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Musique : Gojira - Flying whales


   « L'espace est effrayant » disaient certains. « L'espace est froid » disaient d'autres. « L'espace est dangereux ». Ce n'est pas mon avis. On s'y habitue. Enfin, je pense. Une fois qu'on y est depuis un certain temps ce n'est plus si mal. Le calme, le silence, la beauté du vide intersidéral. L'abysse sans fond du gouffre d'en haut disait un certain auteur. Dans l'espace il n'y a plus de différence entre le haut et le bas, la gauche et la droite, le Nord et le Sud. Nous avons établi une base permanente sur la Lune, mais notre seul et unique foyer reste notre Terre nourricière. Alors comment expliquer que l'on se sente si bien à flotter dans cet immense et sombre vide sans vie ? Nous sommes des mammifères sociaux. Nous vivons naturellement en communauté. Et pourtant ici la solitude est terriblement reposante et enivrante. Un jour je suis sorti de la base lunaire et me suis éloigné avec des réserves d'oxygène. Des heures durant je suis resté assis à contempler l'espace. Là où notre combinaison est notre seul refuge. Où l'on se sent à la fois écrasé par l'immensité spatiale et doué d'une liberté sans limite. Quelle magnifique contradiction que celle de l'espace.

   Mais l'endroit où nous nous trouvions était différent. Le vide spatial était neutre, l'atmosphère de Jupiter était terriblement hostile. Le vent soufflait sur la coque et la contorsionnait comme un gigantesque monstre sans forme. Malgré le bouclier électromagnétique remis en place, j'entendais toujours les griffures de cette bête terrifiante. Cette chose qui tentait de nous avaler en permanence. Cet endroit dans lequel nous n'avions pas notre place. Je dormais mal à cause de ce vent. Je me sentais constamment en danger et oppressé. Comme si à tout moment une brèche pouvait s'ouvrir pour laisser entrer cette force destructrice. Des vents terriblement forts, denses et brûlants. Un souffle titanesque dans lequel vivaient des créatures comme les Fulguropodes.

   Il s'agit là de mon neuvième jour sur la station Hope. Au aujourd'hui s'est produit un incident. J'étais en train de préparer et de renforcer le seul scaphandre d'entretient encore en état. D'abord pour réparer une partie des systèmes endommagés par mon succès de la veille, mais aussi pour accomplir mon plan de récupération dans l'aile endommagée. Et cela se produisit. Un son. Un son que nous perçûmes tous et qui réveilla ceux qui n'étaient pas de garde. Un son qui fit vibrer la station entière et qui résonnait dans nos poitrines. Une fréquence extrêmement basse qui ne ressemblait à rien de connu et qui semblait affecter la structure de Hope. Nous nous retrouvâmes tous dans la salle de contrôle et échangeâmes des regards inquiets. Je compris en les voyants qu'aucun des autres n'avait jamais entendu cela. Nous étions en pleine tempête et supportions les conditions extrêmes grâce aux boucliers.

   Maria alluma l'écran de la console et lança l'analyseur de spectre. Il en ressortit un mélange d'infrasons, de basses et d'ultrasons. Une nuance extrêmement inhabituelle que l'oscilloscope peinait à retranscrire. Mais lorsque je vis la forme du signal je ne pu penser qu'à une chose. L'idée était tout à fait folle mais terriblement crédible. La seule idée que cela soit possible m'effrayait. En ces eaux de chaos où flottaient des vers monstrueux dirigeants la foudre ; par-delà les vents et au cœur même des tempêtes les plus féroces du système solaire nous rencontrâmes quelques chose. Quelque chose d'assurément immense de par la force du signal. Quelque chose qui vivait dans le chaos et émettait ces terribles sons. Une présence surpuissante et titanesque dont chaque respiration faisait trembler les métaux. Car ce genre de signal j'en avait déjà vu et je ne pouvais que faire la comparaison. Cela ressemblait au chant d'une gigantesque baleine.

   Nous étions tous pétrifiés par la peur. Jamais nous n'aurions pu imaginer qu'un tel monstre pouvait se cacher dans une tempête aussi dense. Je pris l'initiative et réduisit au minimum tous les systèmes pour augmenter la puissance du bouclier électromagnétique. Je ne laissais en fonction que les systèmes de survie. Les lumières perdirent en intensité nous plongeant ainsi dans une semi pénombre. Si cette chose nous percevais et nous trouvais à son goût je ne donnais pas cher de notre peau. Je fis rapidement quelques calculs à partir du spectroscope et mit au point un modèle me donnant la distance approximative de la distance qui nous séparaient. A peine quelques kilomètres.

   -   Vous pensez qu'on est en danger ? Demanda Devin qui avait compris la raison de mon agitation.

   -   Disons simplement que cela ne me dit rien qui vaille. Répondis-je gravement. Maria, garde les manettes des propulseurs à portée de main pour nous éloigner de là !

   -   D'accord.

   -   Bon, restons calme. Concentrez-vous et soyez prêts à mettre Hope en branle ! Kim, Trent, accrochez tout ce qui pourrait voler pour le stabiliser.

   -   A vos ordres !

   -   Emily, Devin, vérifiez que les systèmes de verrouillages des portes et que l'intégrité du circuit de propulsion soient indemnes !

   -   C'est parti !

   -   Qu'est-ce que vous allez faire ? Demanda Maria. Ce rafiot est dans un état lamentable alors on pourrait tout aussi bien partir en morceau à cause d'une accélération trop violente ! Sans parler de la tempête ! Je vais calculer une nouvelle trajectoire. Surveille la source du son et tient toi prête à bouger sur mon ordre ! Lançais-je en me mettant au travail sur le calculateur.

   Quelques secondes plus tard une légère secousse fit trembler la station.

   -   Qu'est-ce que c'était ? Dis-je inquiet ?

   -   Il y a quelque chose qui perturbe le bouclier électromagnétique ! Répondit Maria devant son écran. Et la source se rapproche !

   -   Bon sang !

   Seul un puissant champ magnétique pouvait perturber le bouclier à ce point. Il était conçu pour tenir le coup face aux monstrueux orages de Jupiter après tout ! Cela ne pouvait signifier qu'une chose, le titan était la source de cette force. Mon esprit tourna à son maximum pour imaginer des hypothèses plus folles les unes que les autres. Ce monstre devait être constitué d'une grande quantité de métaux. Des cellules métalliques ? Invraisemblable ! Et pourtant si c'était possible son corps agirait comme une bobine tesla géante ! Ceci expliquerait cela. Mais trêve de théories !

   -   J'ai terminé ! J'espère que la station va tenir le coup !

   Je saisis le micro relié aux interphones dans la station.

   -   Accrochez-vous tous, ça va probablement secouer !

   Je m'attachai à mon tour et fit signe àMaria de mettre les gaz après avoir charge la nouvelle trajectoire.    

Jupiter - The Silent PlanetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant