J'ai toujours aimé les défis. Aller là où personne n'était allé. Depuis aussi loin que je m'en souvienne j'aimais résoudre des problèmes et réussi là où les autres échouaient. Me valant l'antipathie des autres enfants. Mais d'où peut donc me venir cette fougue ?
Ma mère n'avait jamais été quelqu'un d'aventureux. Elle était avocate. C'était quelqu'un de stricte qui refusait ce qui sortait du lot. Cela lui avait fait un choc quand j'étais entré à l'école d'astronautes ! « Tu aurais pu faire médecine » disait-elle. A la place de ça je risquais ma vie dans le milieu le plus inhospitalier mais aussi le plus beau qui soit. Une noirceur sans limite ponctuée de taches lumineuses de mondes éloignés.
Comment faire vibrer mon cœur et apaiser mon âme sans la majesté de cet immense dédale, sans cette grisante liberté.
J'étais un homme de l'espace. Un homme préférant vivre là où son corps seul ne pourrait subsister plus de quelques secondes. Quel paradoxe. Quelle ironie.
* * *
Les batteries étaient remplies à quarante pourcents. Impossible d'attendre plus longtemps. La coque était prête à se déchirer et pire, le réacteur pouvait entrer en fusion n'importe quand. C'était un terrible pari qu'il nous fallait faire. En principe, la réaction produisait de l'hélium, de l'hydrogène et de la chaleur. On la contrôlait en modifiant la proportion d'Hélium 3 et d'Hélium. Le problème c'est que le manque d'énergie et les dommages provoqués par la pression et la température avaient causés de nombreux dérèglements qui empêchaient le système de réguler la réaction. Autrement dit, le système estimait que la réaction constamment insuffisante et continuait d'injecter de l'Hélium 3. Ce qui avait pour effet d'augmenter la température interne du réacteur. Lorsque cette température atteindrait un seuil critique, ce qui ne saurait tarder, le réservoir d'Hélium 3 qui n'était plus sécurisé entrerait en contact avec les noyaux d'hydrogène formés. Causant une réaction en chaîne et une très violente explosion.
Mon plan pour tout vous dire était particulièrement stupide. Une fois remontés suffisamment haut dans l'atmosphère, j'allais éjecter le réacteur et le réservoir en même temps. Une fois qu'il ne sera plus protégé par la coque, il explosera très rapidement créant un puissant souffle qui nous propulsera vers la surface. Bien sûr j'ignorai si cela allait vraiment fonctionner ou même si ce serait suffisant pour atteindre l'espace. Mais c'était là notre seul espoir.
Chacun d'entre nous avait enfilé une combinaison spatiale au cas où la coque ne tienne pas. Cela allait être violent et particulièrement risqué. Tout le monde s'attacha solidement et je m'installais au poste de pilotage pour faire de même. Je m'assurais que tout le monde était prêt et actionnait la commande des gaz. Une violente secousse fit trembler Hope toute entière et nous nous mîmes en mouvement. Soit la station quitterait définitivement Jupiter avec de précieuses données, soit nous disparaîtrions tous dans une explosion imperceptible depuis la surface. Je redirigeai une partie de l'énergie accumulée vers le bouclier électromagnétique tandis que chacun s'accrochait à son siège pour subir la violence du voyage. Le souffle du vent revînt de plus belle accompagné de terribles grincements de la coque qui ne pouvaient en supporter plus.
Je surveillais en permanence les niveaux d'énergie et l'altimètre encore en fonction. Une nouvelle secousse fit voler tous les objets non sécurisés à travers la pièce, comprenant les résidus de notre bricolage. C'était une véritable tempête de débris qui s'activait dans le poste de commande tandis que les murs et le plafond se déformaient presque imperceptiblement. Une nouvelle secousse accompagnée d'une alarme m'indiqua la perte d'un morceau énorme de l'aile endommagée. Cette fois le système de guidage cessa de fonctionner et les propulseurs ne répondirent plus à la moindre commande. C'est alors qu'un son couvrit tous les autres. Un déchirement dissonant et saturant la totalité des fréquences audibles. Quelque chose de si puissant que la planète elle-même semblait hurler. C'était le monstre gigantesque que nous avions rencontré dans la tempête. La peur m'étreignit de nouveau tandis que la base de mon siège se tordait et que les parois se fissuraient. Je décidais de larguer le réacteur nucléaire à Hélium trois en brisant la petite vitre rectangulaire qui protégeais le bouton.
Il n'y eut tout d'abord aucune différence. Puis le son de l'explosion accompagné par son souffle nous heurta de plein fouet. C'était comme être frappé par une montagne. Nous nous retrouvâmes à plusieurs reprises la tête en bas tandis qu'un pan entier du mur Nord s'arrachait. La porte du sas vers l'aile endommagée avait cédé et l'atmosphère brûlant pénétrait dans le cockpit. Nos combinaisons tirent le choc mais la visibilité devint nulle. Je ne voyais plus à travers ma visière que des flammes. J'abaissais le volet de protection de mon casque et me retrouvais dans l'obscurité. Je ne percevais plus que la chaleur, les vibrations de mon siège prêt à se décrocher et le son du tungstène déchiré par le vent de Jupiter.
Allais-je mourir ? Peut-être bien. Que penser en ce moment ? Aucune vérité philosophique sur la vie ne me vînt. J'avais vécu comme je le voulais, avec néanmoins quelques regrets. J'étais désolé de ne pas avoir compris ce que mon père voulait me transmettre. Cet amour inconditionnel de l'espace infini. Cette force d'attraction extraordinaire que la liberté absolue exerçait sur les hommes. Ce qui nous poussait à nous risquer dans ce lieu si inhospitalier et dangereux n'était pas la soif d'aventure. Mais plutôt un amour inconditionnel pour la vie que nous sentions battre en nous face à l'immensité des étoiles. J'aurais voulu contempler cette immensité une dernière fois avant de périr. Entendre de nouveau cette mélodie silencieuse. Mais nous restions prisonniers du mutisme assourdissant de cette planète brune et de ses habitants si étranges.
C'est lorsque je remarquais qu'un long moment s'était écoulé que je m'aperçus de la disparition de tous ces sons. J'ouvris prudemment ma visière et fut stupéfait de la vision qui s'offrit à moi. Le plafond et même la moitié de la station avaient disparus. Ne laissant que l'armature déformée par la chaleur. Me laissant entrevoir un immense vide noir ponctué de minuscules tâches lumineuses. Nous avions réussis. Nous étions dans l'espace ! Je tournais la tête pour apercevoir l'équipage qui était toujours au complet. Bien que plusieurs d'entre eux semblaient avoir perdu connaissance. Je t'entais d'ouvrir les canaux des combinaisons mais le communicateur semblait hors service. Rien de bien étonnant. Je me détachais et saisis fermement les accoudoirs et la table face à moi pour ne pas être emporté. La station avait cessé de fonctionner mais elle bougeait encore. Ou plutôt elle tournait. Je devais tout faire pour éviter d'être éjecter dans le vide sans quoi je retomberais sur Jupiter ou serais happé par le vide intersidéral.
Je relevais la visière de chacun de mes petits camarades pour vérifier qu'ils respiraient encore. Seul Devin réagit à ma présence en ouvrant les yeux. Nous communiquâmes de manière rudimentaire par des signes et je parvins à lui faire comprendre qu'il devait surveiller les autres pendant que j'allais faire quelque chose. Je me hissais à bout de bras jusqu'au couloir qui ne menait plus nulle part pour atteindre le bord de la station. Je traversais le vide pour atteindre une autre portion intacte. Les commandes étaient totalement mortes, alors je devais trouver ce que je cherchais manuellement. Je me félicitais d'avoir à ce point étudié les plans de Hope. J'arrivais enfin dans la zone désirée qui étais encore intacte pour ouvrir une trappe sécurisée. J'y trouvais la balise de détresse qui fonctionnait grâce à sa propre batterie et l'activais manuellement.
Je m'arrêtais alors un instant pour contempler tantôt le vide, tantôt l'immense sphère rouge encore remplie de mystères. Nous nous étions échappés de justesse mais ce n'était que partie remise ! Je retournerais dans cette atmosphère et comprendrais comment fonctionnent vraiment ce monde et quelle était cette créature titanesque tapie dans sa poussière. Mais en attendant je ne pouvais qu'attendre et espérer que Borderland nous envoie des secours plus vite que nos réserves d'oxygène ne s'épuiseraient.
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Jupiter - The Silent Planet
Science FictionL'humanité est en déperdition. Et sa soif de source d'énergie l'a amené à coloniser la Lune. Désormais nous visons Jupiter pour en exploiter la couche inférieure. C'est là que nous avons découvert un ennemi mortel contre lequel nous avons développé...