3-Emilia

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Emilia était fatiguée, elle marchait depuis déjà plusieurs heures dans cette forêt gelée, et avant cela, elle avait passé 2 jours, entassée, dans un wagon.

Elle ne savait comment elle pouvait encore tenir debout, d'autres s'était déjà écroulés. Certains s'étaient relevés, essayant de vivre quelques minutes de plus, mais la plupart, à bout de force, ne trouvaient pas ce courage. Alors, un des nombreux gardes, chargeait son fusil et tirait deux balles sur le corps du malheureux, pour être sûr qu'il ne se relèverait pas.

La jeune fille serra Yuriy, son petit frère et seul membre de sa famille encore en vie, dans ses bras. Son père ainsi que deux de ses sœurs étaient morts durant la grande famine ayant précédée la guerre, sa mère et ses deux frères, dans le ghetto, de maladie ou à cause des violences, et sa dernière grande sœur était morte sur le trajet.

Alors oui, elle comptait bien rester en vie avec Yuriy, quel qu'en soit le coût. Elle avait cherché pendant plusieurs heures le moyen de s'enfuir, sans succès.

Il y avait une centaine de gardes qui entouraient le cortège, il était donc impossible d'essayer de se soustraire à leur regard. De plus, elle avait l'impression de tourner en rond et était depuis bien longtemps perdue dans cet immense et sombre bois.

S'écrouler et faire la morte n'était pas non plus la solution, elle se prendrait deux balles dans le dos et finirait par se vider de son sang au milieu de la forêt.

Elle opta plutôt pour une dernière solution : elle se rapprocha d'un des côtés du cortège pour y trouver un garde.

Elle en vit un, se rapprocha et commença à lui parler dans un allemand très approximatif. Elle lui montra son pendentif. C'était celui de sa grand-mère et avait beaucoup de valeur sentimentale mais aussi monétaire. Elle gardait ce bijou en cas de dernier recours et Emilia sentait qu'il avait lieu maintenant.

Elle répétait en boucle les deux seuls mots allemands qu'elle connaissait et qui convenait à la situation : sehr teuer, sehr teuer, sehr teuer.

L'Allemand daigna, enfin, à lui prêter un peu d'attention et Emilia cru qu'elle allait réussir. Mais à la place de cela, l'homme lui arracha le pendentif des mains et le jeta dans la neige.

L'adolescente vit tous ses espoirs s'évanouir dans cette blancheur glacée. Elle rejoignit son frère, essayant de cacher son désespoir.

Malgré tous, elle n'allait pas encore abandonner. Elle trouverait bien une solution.

Elle continua à marcher, fredonnant des airs de jazz qui la rassurait.

Depuis toute petite elle adorait la musique et lorsqu'elle était encore enfant et que tout allait bien, ses parents, riches à l'époque lui avait payé des cours de piano.

A l'époque, la seule musique admise à la maison était le classique et elle ne connaissait même pas le jazz.

Mais, lorsqu'elle partit vivre dans les quartiers pauvres puis les ghettos, elle découvrit ce style de musique et se mit instantanément à l'aimer.

Elle voulait vivre au rythme de cette musique, devenir une grande pianiste et ce n'était pas quelques imbéciles d'allemands qui allaient l'en empêcher.

Soudain, les personnes devant Emilia s'arrêtèrent et elle faillit les bousculer.

Ils étaient arrivés sur une plaine.

Bizarrement, il y avait deux talus de terre fraîche et un trou. La jeune fille s'en approcha et elle vu quelque chose qu'elle n'aurait jamais voulu voir.

Des dizaines et des dizaines de corps étaient entassés là. Rangés méthodiquement, nu, flottant dans un bain de sang, digne des pires films d'horreur. Sauf que là c'était vrai, et Emilia faisait partie des victimes.

Un soldat allemand, leur cria de se déshabiller. Certains de ses compagnons d'infortune obéir immédiatement mais, la jeune fille se dit que foutu pour foutu...

Elle alla voir l'Allemand, et essaya de négocier, elle était prête à absolument tout pour ne pas mourir. L'homme la regarda et rigola. Il lui dit de se déshabiller, qu'il allait trouver quelque chose.

Emilia eut à cet instant un vague sentiment d'espoir mais surtout extrêmement peur. Elle embrassa son frère, lui disant de suivre les autres, qu'elle n'en avait pas pour longtemps.

La jeune fille s'éloigna et enleva ses vêtements dans lesquels elle flottait à cause de son extrême maigreur.

Le soldat revient en lui criant des mots qu'elle ne connaissait pas : salze nutte.

Il l'emporta dans un lieu plus tranquille et la poussa sur un rondin de bois encore couvert de neige. Elle cria de douleur lorsque son dos heurta le froid glaciale. La neige la brûlait, son dos saignait et l'homme commença à enlever son pantalon. Elle était tétanisée.

Elle avait compris, bien sûr, il allait la violer et elle ne pourrait rien faire. Mais peut-être qu'il la laisserait en vie après ça. C'était son seul espoir elle avait tout essayé. Elle était nu, sans défense, en train de se faire violer par un allemand, gelée, maigre à en mourir, morte de fatigue et pleine de sang.

Elle ne voulait pas abandonner, elle était condamnée à subir pour le moment mais pas pour toujours, elle en était convaincue.

Le soldat finit de s'amuser, comme si elle n'était qu'une poupée et se releva en lui crachant dessus. Il remit son bas d'uniforme et reprit son fusil.

Il la poussa jusqu'à la fosse, Emilia avait encore une infime chance, il allait peut-être lui faire ranger les cadavres...

Les autres étaient en colonne, elle aperçut Yuriy, ils étaient les uns derrière les autres, nus et sans espoir, attendant leur mort. Les cinq premiers de la colonne furent jetés au bord de la fosse, les soldats levèrent leur fusil et tirèrent, faisant tomber les malheureux dans la fosse, mort ou encore vivant, se voyant agoniser dans des litres de sang.

Son soldat devait être le chef, il stoppa l'allemand qui allait amener une nouvelle «fournée » et plaça la jeune fille au bord de la fosse, face à lui.

Emilia, terrorisée, vit son regard plein de folie la fixer, juste avant qu'il ne lui tire deux balles dans la jambe et une dans le ventre.

Elle tomba dans la fosse, sentant des os se casser, étaient-ce les siens ou ceux d'un autre ?

Elle était encore consciente quand une autre personne s'écroula au-dessus d'elle. Elle en crachant du sang jusqu'à s'étouffer.

Il ne lui restait que 3 secondes à vivre...

Ses dernières pensées ne furent pas pour ces connards d'Allemands qui l'avaient souillée et humiliée mais pour le jazz, sa musique, sa vie, son piano...


7 secondes de vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant