Chapitre 2

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Lucie espérait faire une entrée discrète, hélas, ce n'est absolument pas le cas. En poussant la porte, la cloche signalant l'entrée d'un client surprend les personnes présentes dans l'officine qui se retourne tous vers la jeune femme. Elle se retrouve alors fixée par six paires d'yeux et ce n'est vraiment pas une situation qu'elle apprécie.
Après deux secondes de flottement, elle est la première à reprendre contenance. Elle se présente alors.

-« Bonjours, je suis la cartographe, Lucie Le Corbier. »

Elle voit alors les attitudes et les visages s'adoucir. Un homme de l'âge de son père sort de derrière le comptoir et vient à sa rencontre. C'est le seul qui n'est pas apprêté pour la marche. Les autres ont, comme elle, des bottes et des pantalons en peau, une chemise en coton et un long manteau de voyage en cuir avec capuche.
Il la salut en lui serrant la main.

- « Bonjour, mademoiselle, je suis monsieur Avenne, le commanditaire de cette expédition.

-Bonjour monsieur. Je m'excuse si je suis en retard mais le bureau m'a donné cet horaire pour le rendez-vous.

- Vous êtes parfaitement à l'heure mademoiselle Le Corbier, simplement vos futurs compagnons sont tous arrivés en avance. Venez, je vais vous les présenter.

-Merci, je vous suis. »

Il commence avec les trois hommes qui se trouve près d'eux et qui ont posé la main sur le pommeau de leur arme quand elle est rentrée. Leurs visages tannés par le soleil, leurs profondes rides et leurs musculatures massives, visibles malgré leurs vêtements, sont aussi impressionnants que leurs tailles, deux mesurent un mètre quatre-vingt et le troisième les dépasse de plus de dix centimètres.
La demoiselle avec ses cent cinquante-quatre centimètres et demi se retrouve alors avec le nez, au mieux, au niveau de leur sternum.
Elle devrait logiquement être intimidée, surtout qu'elle vie cette taille suffisamment difficilement pour insister sur ce demi en expliquant doctement qu'elle n'a pas suffisamment de centimètre pour pouvoir se permettre d'en oublier. En plus, ces hommes portent, en-dessous de leur manteau de marche une brigandine, armure constitué d'un plastron en cuir épais ayant pour doublure des plaques de métal rivetés entre elle. Ils ont aussi une épée longue qui pend à leur côté ainsi qu'une lance qui leur sert aussi de bâton de marche.

Pourtant grâce à leurs sourires francs et chaleurs, ellese sent à l'aise avec eux.

- « Voici messieurs Autevielle, Isaac et Derblay qui vont vous escorter. »

Chacun se salue avec une poignée de main amicale et enthousiaste.

- « Je suis ravie de vous rencontrer et de voyager avec vous,messieurs.

-Nous de même, mademoiselle ! »

Alors que le pharmacien l'emmène pour lui présenter les deux autres voyageurs,elle les entend chuchoter entre eux.
C'est Isaac qui prend le premier la parole tout en faisant bouger ses doigtscomme s'il voulait faire circuler le sang dans sa main.

-« Foudiou ! la pitchoun a de la poigne!

-Et je suis sûr qu'elle a du tempérament aussi. Elle ne doit pas selaisser marcher sur les pieds. Remarque Autevielle.

-Je suis d'accord avec vous. Celui qui la contrarie risque d'avoir sajoue rougie pendant longtemps. » Termine Derblay.

Lucie s'excuse alors auprès de son hôte et retourne vers les trois compères.Elle se glisse au milieu d'eux sans qu'ils la voient pour les surprendre.

-« J'ai mon petit caractère peut être mais beaucoup d'humour et jepense être assez intelligente pour accepter le critique. Par contre, c'est vraique le dernier à m'avoir manqué de respect a gardé la marque de ma mainsur la joue pendant une semaine. Leur chuchote-t-elle

-Et une sacrée oreille! Complète Autevielle

-Oui aussi. Je vous laisse, monsieur Avenne m'attend. »

Elle les quitte après leur avoir fait un immense sourire. Les trois le luirendent avec en plus un signe de tête.
Lucie retrouve monsieur Avenne qui l'attend en discutant avec le quatrièmemembre de l'expédition. Cet homme proche de la quarantaine aux cheveuxet à la barbe noir comme l'ébène et taillé très court est aussiimpressionnant que l'escorte, non par sa taille mais à cause de ses yeux bleusaciers qui semblent vous transpercer jusqu'à l'âme quand il vous regarde.

-« Mademoiselle Le Corbier, voici monsieur Telcontar, votre guide. »

La jeune femme aperçoit alors sa boussole, symbole de sa profession, fixé à sonpoignet droit grâce à un bracelet en cuir pour lui permettre d'utiliserl'arc qui se trouve sur son sac à dos, à côté d'un carquois rempli deflèches. Elle se fustige intérieurement de ne pas l'avoir remarqué plutôt et sepromet d'être plus attentive à l'avenir.
En lui serrant la main, la sensation d'être passé au crible par le regard perçantde l'homme la met mal à l'aise mais elle prend sur elle.

-« Enchanté monsieur Telcontar.

-Moi de même, maitre cartographe.

-Merci monsieur du compliment mais je ne serais maitre que si je découvrequelque chose. Or, ce qui m'intéresse à ce jour, c'est la missionprésente.
Comme dit papa, chaque chose en son temps. Si lors de notre voyage je fais unedécouverte, il sera toujours temps d'y réfléchir. Mais de toutefaçon, même si cela arrivait, je veux acquérir de l'expérience sur leterrain pour avoir une légitimité. En attendant vous pouvez m'appeler Lucie etme tutoyer. »

Ce qu'elle ne lui dit pas, c'est qu'elle a souvent réfléchi à son avenir. Ainsielle sait qu'elle veut sillonner Kana pour pouvoir vivre de nombreusesaventures et surtout écrire. Ce qui lui sera bien difficile en tant quemaitre à l'académie des cartographes.

Le guide, lui, sourie à la réponse de la jeune fille. Il est ravi d'êtreaccompagné par une cartographe intéressée par son métier et pas par sacarrière.

-« Alors fais de même et appel-moi simplement Elessar. »

Lucie, rassurée par le sourire qui adoucie les traits sévères de soninterlocuteur et soulagée de ne plus être la cible de ces deux billes d'acier,le remercie de cette marque de respect. Elle suit l'apothicaire de façonautomatique, continuant de réfléchir au comportement du guide. Elle conclue,avec raison, qu'il a voulu la tester et qu'elle a réussi l'examen. Elle sefélicite alors d'avoir caché le cadeau de son père et de sa sœur, l'hommeaurait pu mal le prendre. Elle est ramenée à la réalité par la voix ducommanditaire.

-« Et voici ma fille, Ambre Avenne. C'est elle, qui, en tantqu'apothicaire, fera la collecte des plantes médicinales autour de la sourced'eau chaude où vous vous rendez. »

Le ton avec lequel l'apothicaire présente sa fille est, à lui seul, uneindication de sa fierté pour elle. Il est vrai qu'en plus d'être son uniqueenfant, elle a réussi ces études en seulement six ans, là où il fautnormalement huit années. Elle est de faite l'une des plus jeunes diplômés avecses dix-huit ans. Mais
tant qu'elle ne sera pas sortie de Vulcania pour récolter des plantesmédicinales, elle ne sera pas considérée, par ses confrères, comme une desleurs.
C'est pour ça que son père a organisé cette expédition.
En véritable papa poule, il a choisi pour son premier voyage, un guide et uneescorte aguerrit, à la réputation sans tache. Ils ont surtout l'énormeavantage d'être plus vieux que lui. Ainsi ils devraient considérer safille comme leur enfant plutôt que comme une éventuelle conquête.
C'est d'ailleurs pour cette même raison qu'il a bataillé avec l'administrationpour avoir une cartographe.
Monsieur Avenne n'est pas homme à mettre sa fille sous cloche ou à vouloirdiriger sa vie. De toute façon, il sait qu'avec son caractère il ne le pourraitpas.
Il a cependant suffisamment d'expérience pour savoir que la proximité lorsd'une telle mission peut entraîner des dérapages gênants, souventaccompagné neuf mois après d'un bébé pas vraiment désiré.
Pour éviter au maximum les problèmes, il a alors formé l'équipe la plus fiableet la moins susceptible de le faire grand-père.

Lucie et Ambre, quand elles se font face, découvrent l'exacte personnificationde la femme qu'elles auraient rêvée être.

La longiligne apothicaire ne peut s'empêcher d'admirer les atouts terriblementféminins de la demoiselle devant elle, sa poitrine généreuse maissans excès, sa taille de guêpe et ses hanches délicieusement sculptées.

La cartographe, elle, a toujours désirée cette silhouette élancée, fine etdélicate qui avec juste quelques centimètres en plus donne grâce, éléganceet fluidité.

Miss Avenne avec son teint halé toute l'année, son visage fin, ses yeuxnoisettes et ses cheveux châtain clair, natté et arrivant au rein aimeraitavoir la blancheur de miss Le Corbier contrastant avec ses cheveux auburncourts et indisciplinés, son visage et ses joues un peu ronds saupoudrées detaches de rousseur adoucissant ses yeux bleus gris.

La surprise passée, elles se disent bonjour puis cherchent, chacune dans satête et à toute vitesse, un sujet pour engager la conversation. Ambres'en étonne un peu, elle est plutôt sauvage et n'a jamais fait d'effortpour les civilités mais là, cela lui semble presque vital. Lucie, grandebavarde, est aussi
interloquée. Parler de la pluie et du beau temps comme entrée en matière ne l'ajamais dérangé mais maintenant elle ne peut s'y résoudre trouvantcela trop futile.

Elles sont interrompues dans leur réflexion par l'apothicaire.

-« Mademoiselle Le Corbier, vous connaissez maintenant tout le monde.

-Tout à fait monsieur Avenne, vous avez réuni une grande équipe, j'espère m'enmontrer digne et rédiger un rapport où ma prose sera à la hauteur.

-J'ai lu votre H.F.E et j'en suis certain. »

Elle le remercie en rougissant et pour reprendre contenance, elle sort unefeuille officielle de son carnet de voyage et la lui tend.

-« Voici votre attestation prouvant que vous avez bien fait appel àun cartographe pour votre expédition. Comme vous le savez, vous devez laconserver cinq ans. Avez-vous la fiche qu'on vous a remise lors de votredemande? «

L'homme lui tend la feuille demandée qu'il avait laissé sur son comptoir.Après vérification, Lucie la place dans son carnet de voyage, dans lacouverture.
C'est un document indiquant la raison de la mission, le trajet prévu et lepedigree des participants.

-« Pour moi tout est en ordre, nous pouvons y aller. »

C'est le signal qu'attendais les autres. Ambre se ceint de sa ceinture decollecte où sont accrochés ciseaux, serpe et gants. Elle y fixe un petitcouteau de chasse et son père l'aide à mettre son sac à dos. Il le faitsurtout pour passer encore un peu de temps avec elle.
Après de rapides adieux, tous sortent.


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