Chapitre 9

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Au fur et à mesure qu'elle avance et que ses yeux se réhabituent à la lumière du jour, elle s'étonne du manque d'intensité de celle-ci. Elle n'en comprend la raison qu'à cinq mètres de la sortie, une épaisse végétation obstrue complètement le passage. Arrivée à son contact, elle l'identifie comme étant un buisson ardent.
Elle fait une première tentative pour le franchir, en privilégiant la douceur. Elle essai de passer en écartant simplement les branches. Malheureusement elles sont si inextricables qu'elle n'arrive qu'à s'entailler les mains sur leurs épines acérées.
Furieuse d'être ainsi blessée, elle dégaine son épée et se taille un chemin à grand coup de sa lame. Sa force lui permet de compenser l'inadaptation de son arme à une telle utilisation cependant jamais avant cela, elle ne livra combat plus difficile. Elle a l'impression, pour chaque centimètre parcouru, de batailler contre une dizaine de monstres qui se défendent en la griffant et la déchirant de toute part. Le sol étant légèrement en pente, elle perd régulièrement l'équilibre, dégradant un peu plus sa tenue et son corps.
Après dix minutes de lutte acharnée, elle sort enfin de cet enfer.
Seulement, alors qu'elle s'attend à se retrouver en pleine forêt, elle a devant elle un champ moissonné et juste derrière lui, à environ six cents mètres, un groupe de maisons encadré par deux vergers. Or c'est normalement complètement impossible, la butte aux cerfs et ses abords sont inhabités d'après les registres des cartographes qui devraient être parfaitement à jour puisque la région est très fréquentée.
Très intriguée, elle en oublie ses douleurs et ses vêtements en lambeau pour se mettre en quête d'une explication.
En un tour sur elle-même, elle résout le mystère.
Cet endroit n'a jamais été découvert pour deux raisons. D'abord, il se trouve au fond d'une dépression creusée dans le plateau qui s'étend au sommet de la colline et ensuite ses versants, ainsi qu'une bonne partie du bord, sont intégralement recouvert par une forêt excessivement dense de buisson ardent qui empêche, par leurs trois mètres de haut, de deviner l'existence même de la cuvette et dont les épines acérées ainsi que l'enchevêtrement de leur branche dissuadent toute tentative pour chercher à passer au travers.

Maintenant qu'elle a compris, Lucie commence à s'inquiéter de la réaction de ces personnes si désireuse de n'être pas découvertes quand, ses compagnons et elle devront traverser le hameau pour sortir de là.
C'est en réfléchissant à tous les scénarios possibles qu'elle retourne chercher ses amis au pas de course. Très vite, elle en vient à s'interroger sur les causes qui ont pu pousser ces habitants à s'isoler ainsi.
En atteignant la grotte, elle sait être partie plus d'une demi-heure, même si elle a mis deux fois moins de temps pour le retour, elle annonce donc tout de suite qu'il est possible de sortir par le passage qu'elle vient d'emprunter en guise de bonjour.
Isaac est le premier à réagir.

- « Lucie ! Tu peux te vanter de nous avoir inquiétés. Si mademoiselle Avenne ne nous avait pas expliqué que dans ta formation tu avais appris la méthode des aveugles pour te déplacer dans le noir, nous serions allez te chercherez avec des torches, au risque d'attirer les trolls. »

Terriblement surprise, la cartographe se retourne vivement vers l'apothicaire qui s'est rapproché d'elle. Après un bref mais magnifique sourire, Ambre prend la parole.

- « En t'entendant parler de livre « La montagne de brumes » que j'ai moi aussi lu, j'ai compris comment tu pouvais explorer un souterrain (Murmurant pour que seule Lucie puisse entendre) et pourquoi tu penses que ta mère a obéi à la prophétie. (Elle reprend à voix haute) Alors quand ces messieurs ont décidé de partir à ta recherche, j'ai été obligé de dévoiler ce secret de ta formation pour qu'il ne risque pas leur vie pour rien. Tu ne m'en veux pas, j'espère ? »

Ambre a tout compris et elle ne me rejette pas ! Mieux elle trouve pour moi une excuse.
Voilà la première pensée de la cartographe.

-« Bien sûr que je ne t'en veux pas ! Tu as parfaitement réagi. J'espère que de ton côté tu comprends que je ne pouvais pas donner d'explication quand je suis partie hier soir et tout à l'heure.

-C'est évident mais tu n'échapperas pas, malgré tout, à une longue discussion sur tout ça.

-Je suis à ta disposition mais pas maintenant, nous devons y aller.

-Et rapidement ! S'exclame le guide dont c'est le tour de garde. Les trolls commencent à s'agiter.

-Ok, j'enfile mon manteau, prend mon sac à dos et je vous guide. Je pense que le plus simple est que nous marchions, en fils indienne, en posant la main sur l'épaule de celui qui est devant soi. D'autre part, il faut prendre de quoi faire du feu et une torche parce que nous aurons à sauter au-dessus d'un trou. »

Une minute plus tard, les deux demoiselles en tête, le groupe s'enfonce dans l'obscurité.
Jusqu'à l'éboulis tout se passe bien et Lucie raconte son périple. Ce passage étant un peu compliqué du fait des petits cailloux qui peuvent rouler sous les pieds, la cartographe progresse doucement et dans le silence pour permettre à ses compagnons de se concentrer sur leur pas. Seulement au bout de trois mètres, la main d'Ambre se crispe sur son épaule et elle se met à parler très vite.

-« Je ne peux pas continuer ! Halète l'apothicaire.
Il faut que je retourne à l'air libre !

Je vais mourir étouffé !
Continuez sans moi, je préfère affronter les trolls ! »

Maladroitement elle retourne à la caverne, en s'appuyant d'abord sur l'escorte puis sur le guide qui ferme la marche. Une fois qu'elle les a dépassé, elle tente de courir jusqu'à la lumière mais trébuche sur une pierre.
Sa chute réveille Lucie qui était restée, jusque-là, sidérée par la réaction de son amie.

-« Messieurs, ne bougez pas !
Je m'occupe d'Ambre, elle fait une crise de panique. »

Elle se précipite ensuite vers l'apothicaire. Celle-ci s'est remise debout et reprend sa progression vers la lumière mais chute à nouveau. Heureusement, la cartographe la rattrape avant qu'elle ne touche le sol puis elle la porte telle une mariée.

-« Ambre, c'est Lucie.

-Lucie, ramènes-moi dehors, s'il te plait, ne me laisse pas mourir.

-Ne t'inquiète pas, je t'y emmène. Messieurs, je n'en ai que pour trente secondes. »

Elle se hâte ensuite vers la sortie, tout en lui murmurant des paroles qu'elle espère apaisante.
De retour dans la grotte et après avoir bu un peu d'eau la jeune Avenne reprend rapidement des couleurs. Honteuse de sa réaction, elle baisse la tête, incapable d'affronter le regard de sa « sauveuse ».

-« Tu sais moi je suis incapable de grimper à un arbre. Lui dit Lucie avec un sourire.

-C'est vrai ! S'exclame Ambre en redressant la tête. Moi j'adore me retrouver tout en haut ! C'est même l'une des rares choses que je fais alors que papa me l'a toujours interdit.

-Mais tu habites à Vulcania, comment fais-tu pour monter sur des arbres, il n'y a que le parc de la tartelette comme espace vert et ce sont des peupliers qui y sont plantés ?

-Nous avons une petite concession dans les bois au sud de la ville pour notre chauffage et nos plantes médicinales. J'y vais très régulièrement. Avant j'y passais beaucoup de temps avec maman, alors mon père ne dit rien, même s'il sait très bien que je suis plus souvent dans les branches que sur la terre ferme.

-Toi aussi, tu as besoin de moment où tu te l'as rappelle de peur de l'oublier?

-Oui.

-Moi, quand cette angoisse mon prend, je me remémore les histoires qu'elle me racontait, avec sa voix et ses mimiques. »

Un moment de silence s'installe.

-« As-tu du houblon et de la valériane dans ton sac ? Demande d'un coup Lucie. »

Un instant interdite, l'apothicaire s'écrie presque :

-Dieu ! Tes cicatrices sur ton visage te fond souffrir ! Et moi qui n'ai même pas pensée à te les soigner. Mais tu sais, pour soigner tes plaies, il faut plutôt utiliser une décoction de lavande et de miel. Explique-t-elle en fouillant dans son sac à dos qu'elle vient de poser au sol.

-Je le sais bien. C'est pour toi.

-Pourquoi veux-tu m'endormir ? Ah non ! Je ne retourne pas sous terre ! »

Lucie la relève, lui prend le visage en positionnant ses mains sur ses joues et lui parle en la regardant droit dans les yeux.

-« Mais il n'y a pas d'autre moyen, je refuse de te perdre. Tu vas donc prendre de quoi dormir et ensuite je te porterais. Si tu veux, en attendant que le sommeil vienne, je te raconterais une des histoires que j'ai écrite pendant mes études.

-Mais j'ai l'impression d'être comprimé par la montagne à en étouffer !

-Tu auras les yeux fermés et j'ai un récit qui se passe dans La Forêt Luxuriante.

-Je n'ai pas le choix ?

-Non ! A part si tu veux que je meure avec toi ?

-Oh non, absolument pas !

-C'est pourtant ce qui se passera si tu ne viens pas avec moi. Je ferais alors sortir nos quatre amis par le tunnel puis reviendrais auprès de toi et nous serons dévorées par les trolls. Et ne crois pas pouvoir m'éviter le pire en t'enfuyant pendant mon absence parce que je t'aurais ligoté avant de partir. »

Après quelques secondes de silence, Ambre reprend la parole.

-« Elle parle de quoi cette histoire ? »


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