Chapitre 9

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Je me redresse lentement. Autour de moi, les murs tanguent dangereusement, et je ferme un instant les yeux, prise d'un vertige. Lorsque le malaise passe enfin, je contemple mon environnement. Je suis seule. Cependant, la vieille couverture chaude dont quelqu'un m'a recouverte, indique que ce ne sera sûrement pas pour longtemps. Et, pour la première fois depuis 24 heures, je me sens en sécurité.

Autour de l'âtre, des tas de vêtements, de réserves d'eau, de nourriture, et des sacs divers, s'empilent. Plus loin dans un coin plus sombre, des hamacs de fortune sont suspendus. Ceux qui se sont établis ici semblent y vivre depuis déjà quelques temps.

Au regard de la configuration de l'espace, il ne me faut pas longtemps pour comprendre que je suis dans les souterrains de New York. Honnêtement, je n'ai aucune idée de comment je suis arrivée là. Tout ce dont je me souvienne, est que je me suis assise à l'entrée d'un bâtiment, totalement épuisée. Ensuite, le froid, l'engourdissement, et... Le trou noir. Je fronce les sourcils, et fouille ma mémoire, à la recherche du moindre indice. J'ai encore mal à la tête, mais mes idées s'éclaircissent peu à peu.

Lentement, par vagues, quelques images floues me reviennent, mêlées de sensations. Le visage souriant de ma mère, les bras qui me soulèvent, la chaleur soudaine... Je crois bien que je me suis endormie. Mais combien de temps ? Je n'en n'ai pas la moindre idée.

Intriguée, je repousse le drap miteux qui couvre encore partiellement mon corps, et je m'aperçois que je suis simplement vêtue de mes sous-vêtements. Mais je ne m'en formalise pas. J'en profite pour parcourir mes membres du regard, et je constate avec stupeur que mes blessures ont été pansées avec le plus grand soin.

Pensive, j'examine les compresses et les bandes appliquées. Cela doit faire un bon nombre d'années que je n'avais pas vu de linges aussi propres. Chez nous, lorsque quelqu'un est blessé, on nettoie comme l'on peut les bandes de tissus récupérées au gré de nos explorations. Autant dire que question hygiène, on peut faire mieux...

Prudemment, je me remets debout. La lumière procurée par le feu de camp ne s'aventure pas loin dans les galeries, mais je saisis sans problème que nous ne sommes pas dans l'un de ces bunkers qui rythment régulièrement le labyrinthe, mais plutôt à une sorte de carrefour, au croisement de plusieurs boyaux. Les occupants cherchent-il un moyen de fuir aisément, ou ne connaissent-ils pas l'existence des refuges ? Autant de questions qui, pour l'instant, resteront sans réponse.

-Tu te sens mieux ?

La voix masculine et légèrement rauque qui s'élève dans mon dos me fait sursauter. Vivement, je fais volte-face. Le jeune homme qui vient de m'adresser la parole sans préambule doit avoir environ mon âge. Immédiatement, il détourne pudiquement le regard, et je rougis jusqu'aux oreilles, réalisant que je suis à demi-nue.

-Tu as des vêtements propres à côté de toi... m'informe-t-il.

Comme si j'avais pu le deviner... Je grommelle un vague remerciement, extrêmement embarrassée, et enfile prestement le t-shirt et le pantalon qui ont été mis à ma disposition. L'ensemble ne me sied pas du tout. C'est le moins que l'on puisse dire. Ce sont des vêtements d'homme, et, qui plus est, trois fois trop grands. Mais c'est mieux que rien.

Sur le tas de chiffons informes et couverts de poussière que constitue mes anciennes nippes, je récupère ma ceinture, que je serre au maximum afin de faire tenir le tissu autour de ma taille.

Je relève alors les yeux vers mon interlocuteur. Il est grand - peut-être 1m80 - et mince, quoique bien bâti. Et, contrairement à moi, il ne semble pas avoir souffert de mal nutrition. Au regard des muscles saillants de ses biceps, perceptibles grâce au fait que ceux-ci soient nus, il est même en parfaite santé physique. Seuls ses cheveux bruns en bataille et les cernes qui entourent ses yeux trahissent la fatigue et le stress qu'il a dû subir récemment.

Le jeune homme et moi nous observons, face à face, sans trop savoir quoi nous dire. Dans ce monde devenu hostile, il n'est jamais simple de savoir à qui nous pouvons réellement nous fier. Et, même s'il m'a sauvé la vie, je sens qu'il se méfie de moi, autant que je me méfie de lui. Sinon plus.

-Euh... Merci, finis-je par lâcher, afin de briser le silence devenu pesant. Pour tout ça.

J'embrasse la pièce du regard, hésitante. Le garçon, peu bavard, ne répond pas, et se contente de pencher la tête sur le côté, croisant les bras sur sa poitrine.

-D'où est-ce que tu viens ? demande-t-il, abruptement.

Je plisse les yeux. Je ne sais pas si je peux lui faire confiance. Si je lui parle de notre petit groupe et qu'il appartient à une bande adverse, ce qui est probablement le cas, je risque de nous attirer de gros ennuis. Aussi, réponds-je simplement :

-Et toi ?

Il hausse les épaules.

-Aucune importance.

Je hoche la tête. C'est bien ce que je pensais. A mon tour, je me mure dans le silence.

Comprenant que ni lui ni moi n'en dirons plus, le jeune homme me contourne et se rapproche du feu. Je remarque qu'il porte un sac sur le dos, qu'il laisse tomber au sol, avant de l'ouvrir. Il en sort des vivres, et j'écarquille les yeux, estomaquée. Oubliant ma réserve, je me précipite vers lui.

-Où as-tu trouvé tout ça ?! le questionné-je. Cela fait des mois qu'il n'y a plus rien ici...

Il relève les yeux vers moi, et je constate qu'ils sont d'un vert étonnamment profond, maculé de petites tâches mordorées. Sans trop savoir pourquoi, je sens mes joues s'embraser de nouveau, et je baisse les yeux sur les provisions. Au travers du rideau de mes cheveux tombés devant mon visage, j'aperçois le sourire qui anime l'ourlet de ses lèvres.

-C'est que tu ne sais pas où chercher, se moque-t-il doucement.

Je grogne.

-Nous avons une zone, dans laquelle nous avons le droit de fouiner. Et, crois-moi, nous l'avons déjà passé au peigne fin. Le reste de la ville ne nous appartient pas, elle est le territoire des autres bandes.

Il relève la tête vers moi et arque un sourcil interrogateur. Je comprends à sa réaction qu'il n'a pas connaissance de nos règles de vies, et je me mordille la lèvre inférieure, ennuyée. Je ne sais pas où il est allé pêcher toutes les réserves qu'il a amenées, mais il y a un risque que le clan vivant sur le territoire pillé n'apprécie pas, et nous accuse.

-Tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas... murmuré-je, plus pour moi-même.

Il ne répond pas, et cela confirme mon sentiment. Je pousse un profond soupir. On n'est pas sortis de l'auberge... 

G.I.F.T.E.D.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant