Chapitre 10

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A force de questionner le jeune homme, j'avais finalement appris qu'il avait trouvé ses vivres dans une partie de New York qui n'appartenait pas au territoire de Dorian, au Nord-Ouest de la ville.

Personnellement, je n'avais jamais eu de contact avec un autre clan. Je ne pouvais donc pas prédire la réaction qu'aurait celui qui avait été volé. Cependant, en imaginant celle de notre meneur, je n'avais pas trop de mal à m'en faire une idée.

Après ce bref échange, mon sauveur et moi n'avons plus prononcé le moindre mot. Nous sommes chacun assis d'un côté du foyer, face à face, silencieux. Discrètement, je décortique chacun de ses mouvements depuis une bonne demi-heure. Sa stature, ses vêtements, son comportement... Tout m'intrigue chez lui.

Son pantalon, son T-shirt, sa veste et ses chaussures, donnent l'impression qu'il vient tout juste de quitter l'armée. Je l'aurais trouvé en train d'astiquer une arme automatique que cela ne m'aurait pas étonnée. Quant au tatouage qui orne son poignet gauche... Je ne sais pas quoi en penser. C'est étrange tout de même, de se faire graver une suite de chiffres et de lettres sur la peau, non ?

Tout à coup, une série de sons indistincts me parvient, et se précise peu à peu. Ce sont des bruits de pas entremêlés de rires, qui résonnent depuis l'un des boyaux qui s'enfonce dans l'obscurité. Sur le qui-vive, je me redresse, méfiante. Pourtant, en face de moi, mon compagnon d'infortune ne tique pas. Il est concentré sur le triage des boîtes qu'il a ramenées de son expédition. J'en déduis donc que ce sont les autres membres du groupe, dont j'avais soupçonné l'existence, qui reviennent.

A présent, des bribes de conversations, entrecoupées de borborygmes incompréhensibles, me parviennent.

-.... voir sa tête ! s'exclame une voix masculine, moqueuse.

-Ouais ! répond une autre, plus fluette. On aurait ... allait ... bouffer !

Un ricanement lui donne la réplique, bientôt rejoint par d'autres.

Quelques secondes plus tard, onze adolescents, hilares, émergent depuis le tube. Ils sont habillés de la même manière que celui qui m'a sauvé la vie. Lorsqu'ils m'aperçoivent, ils se figent.

-C'est quoi ça, Thunder ? demande celui qui semble être le plus âgé, après un bref instant de silence.

Il me dévisage d'un air soupçonneux, et son index est pointé vers moi. Mais l'intéressé, dont je viens d'entendre le prénom pour la première fois, ne fait même pas l'effort de le regarder.

-Je l'ai trouvée, mourant de froid au pied d'un immeuble, répond-t-il stoïquement.

L'autre esquisse une moue mécontente.

-Et donc, tu l'as ramenée.

La phrase sonne comme une évidence, mais cette constatation ne semble pas lui plaire du tout. Les jeunes gens se consultent du regard en chuchotant d'un air entendu. Sans que je sache vraiment pourquoi, mon estomac se noue. J'ai l'impression qu'ils décident de mon sort, et je n'aime pas.

Après quelques secondes d'un débat dont je ne saisis pas un mot, une fille de petite stature s'avance vers Thunder. Elle se campe fermement devant lui, les poings sur les hanches, et relève ses manches afin de se donner une assurance qu'elle n'a pas. Je remarque qu'elle aussi porte un tatouage au poignet.

-Nous sommes tous d'accord, déclare-t-elle d'une voix ferme. Elle doit partir. Et maintenant.

Elle insiste sur ce dernier mot, et je frémis, imaginant déjà la fin tragique qui m'attend, dans le désert gelé. Pourtant, le jeune homme la toise sans broncher, la mine sombre.

-Il en est hors de question, répartit-il, d'un ton sans appel. Si on la remet dehors maintenant, elle mourra. Nous ne sommes pas des criminels, Maria. Nous attendrons demain.

Celle-ci serre les poings si forts que ses phalanges blanchissent. Elle bouillonne de rage.

-T'es complètement malade ?! explose-t-elle finalement. Et si elle nous dénonce d'ici là ?! On ne sait pas qui elle est ! Et si elle était avec eux ! Tu y as pensé à ça ?!

-Elle ne bougera pas d'ici. Et puis je ne crois pas...

-Et ben tu crois sûrement mal ! Pourquoi est-ce que tu agis toujours en fonction de toi, sans consulter les autres ?! Tu n'es pas notre chef, je te rappelle ! Tu ne peux pas décider seul ! Tu...

-CA SUFFIT !

La voix du jeune homme tonne, et se répercute si fort sur les murs de béton que la dénommée Maria se tait. Celui-ci lui jette un regard mauvais et se remet debout. Il la dépasse de deux bonnes têtes, et elle semble intimidée. Lorsqu'il se penche, elle recule d'un pas.

-Elle n'est PAS avec eux, d'accord ? J'ai vérifié, elle n'a pas la marque !

Thunder s'avance vers moi à grandes enjambées. Il m'attrape le bras sans ménagement, et remonte ma manche, découvrant mon poignet vierge de toute inscription.

Je le regarde d'un air interrogateur, mais il ne m'accorde pas la moindre attention. Il dévisage chacun des membres de son groupe, les défiant de le contredire encore. Mais cette fois, aucun d'entre eux ne semble prompt à remettre sa parole en doute.

Je profite du silence momentané pour poser la question qui me brûle les lèvres depuis quelques minutes déjà.

-Euh... Si je peux me permettre, qui c'est, « eux » ? avancé-je prudemment.

Thunder, qui semble redécouvrir ma présence à ses côtés, hausse délibérément les épaules.

-Tu n'as pas besoin de le savoir.

Le plus âgé du groupe me regarde, et fronce les sourcils.

-La vraie question, réplique-t-il, c'est qui es-tu, toi ? Et d'où est-ce que tu sors ?

Je plisse les yeux. Je ne suis toujours pas décidée à leur faire confiance, et je choisis finalement de rester la plus évasive possible.

-Je m'appelle Féline, réponds-je. Et j'habite ici, à New York.

Le garçon me considère d'un air dubitatif. Aussi ajouté-je :

-Dans ces galeries. On ne peut pas survivre à l'extérieur.

-Et peut-on savoir ce que tu faisais dehors à une heure pareille, du coup ? me questionne-t-il encore.

Je croise les bras sur ma poitrine.

-La même chose que vous : je travaillais à ma survie. Je cherchais de quoi manger avec quelques camarades, mais j'ai été surprise par une tempête. Lorsque celle-ci a pris fin, tout le paysage avait été transformé et je me suis perdue à la surface.

Il semble sonder mon regard, cherchant à définir jusqu'à quel point je dis la vérité, puis finit par acquiescer doucement. J'ai l'impression de l'avoir convaincu de mon honnêteté, mais je n'en suis pas certaine.

-Que sont devenus les autres ?

J'esquisse un mouvement d'épaules incertain.

-Je n'en sais rien. Nous avons été séparés.

Après tout, c'est la vérité. Nul besoin de lui dire que je suis restée coincée dans la carcasse échouée d'un navire alors que l'ouragan ravageait le désert. Mais le garçon ne semble pas pressé de me laisser tranquille.

-Où vis-tu ? s'enquiert-il encore.

Pourtant, cette fois, je secoue la tête en signe de dénégation.

-A chacun ses secrets, décrété-je.

Ses prunelles deviennent aussi froides que des lames d'acier, et, un instant, j'ai l'impression d'être face à Dorian. Un frisson me parcourt la colonne vertébrale, mais je ne cède pas et soutiens son regard. C'est le seul moyen pour moi de me faire respecter.

G.I.F.T.E.D.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant