Chapitre 18

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Paniquée, je jette un regard tremblant à mon bras droit. Mon épaule ne se trouve plus à la place qui lui revient et un gigantesque hématome commence à s'épancher sous ma peau diaphane.

En guise de réponse à ma rebuffade, Robby vient de désaxer mon bras droit.

Des étoiles dansent devant mes yeux, et je clos un instant les paupières, luttant contre le vertige qui me fait tourner la tête. Surtout ne pas perdre pied... Un filet de sueur glisse le long de ma colonne vertébrale, agitée de frissons.

Dorian s'approche de moi et ordonne à son homme de main de me libérer. Je ne le lâche pas des yeux, au bord du gouffre mais bien décidée à garder l'équilibre. Docilement, ce-dernier obtempère. Je tombe à genoux, les jambes sciées par les salves de douleur successives qui me vrillent le haut du corps.

Pourtant, je darde toujours mon regard sur l'homme qui réduit la distance entre nous. Sans bruit, il vient s'agenouiller devant moi. Il me considère un instant, pensif, puis passe une main dans mes cheveux, presque avec douceur.

— Tant d'énergie et de colère, bouillonnant dans un corps si frêle... Mais tu as encore beaucoup de choses à apprendre, Féline. Crois-moi.

Il s'interrompt une dizaine de secondes, avant de me chuchoter à l'oreille :

— Toi et moi devons avoir une discussion de toute urgence...

Je voudrais lui répondre vertement, mais je suis incapable de prononcer le moindre mot. Seul le bourdonnement de mes pensées résonne à mes oreilles tandis que Dorian se relève.

— Emmène-la, enjoint-il Robby. Et enferme-la, elle mérite une bonne correction.

Je ne peux retenir un gémissement lorsque la brute m'agrippe violemment pour me remettre sur mes pieds. Un sourire cruel balafre son visage antipathique et un accès de furieux tremblements mêlés d'impuissance me parcourt le corps.

Je sais parfaitement ce que cette sentence signifie. Afin de prévenir les pillages et autres agressions extérieures, l'une des salles de notre QG a été transformée en ce qui se rapproche le plus d'une prison. Des cages de fer, probablement à l'origine destinées aux animaux, y sont alignées contre les murs. Ceux qui s'y voient enfermés sont privés de nourriture, parfois jusqu'à ce que mort s'en suive.

— Qu'est-ce qu'on fait des autres ? intervient alors Jamie, qui s'est éloigné du groupe emmenant les nouveaux captifs.

Dorian ne prend même pas la peine de réfléchir.

— Enfermez-les aussi, ordonne-t-il. J'ai un détail à régler.

*****

J'ignore depuis combien de temps je suis enfermée dans cette cage, qui ne me permet même pas de me tenir debout. J'ai perdu la notion du temps, les secondes s'étirant à l'infini, et quand bien même cela ne ferait qu'une heure, j'ai la sensation d'être recluse là depuis une semaine, plongée dans la pénombre.

Soudain, le crissement de la barre de fer qui cadenasse l'immense porte d'acier coulissante résonne dans l'oppressant silence, m'indiquant que quelqu'un s'apprête à entrer, et un flot de lumière inonde la salle vide. La silhouette de Dorian se découpe en contre-jour sur l'aura blanche.

Immédiatement, le sentiment de colère qui m'avait rendue folle un peu plus tôt se réveille, supplantant la douleur lancinante qui anesthésie tout le haut de mon corps. Je me recroqueville dans le fond de ma geôle, le plus loin possible de lui. Je ne suis pas prête de le supplier de me libérer. Plutôt mourir que de m'abaisser à ça.

L'homme de haute stature s'avance jusqu'à moi, le visage impassible. Il me toise un instant, les mains dans les poches. Il semble se délecter de sa liberté, sûrement autant qu'il est ravi de m'en voir privée. Rira bien qui rira le dernier.

Puis, prenant son temps, il attrape une chaise rouillée traînant dans un recoin et s'assoit à cheval dessus, accoudé sur le dossier.

— A nous deux, déclare-t-il simplement, après une minute passée dans le silence le plus total et durant lequel nous nous observons sans échanger le moindre mot.

Je lève alors les yeux au ciel, avec la ferme intention de ne pas ouvrir la bouche. Mais, à ma grande surprise, il sourit.

— Tu as toutes les qualités nécessaires pour survivre dans ce bas-monde, Féline, remarque-t-il simplement.

Sans le vouloir, je lui adresse un coup d'œil interrogateur. Je ne vois absolument pas où il veut en venir. Dorian hoche la tête.

— Tu es dotée d'un caractère de battante, qui te permettra de parvenir à tes fins sans jamais te laisser abattre. La preuve : là où les autres s'écrasent devant moi, tu me tiens tête et tu exprimes ton opinion. C'est bien. Mais je vais t'apprendre une chose essentielle, gamine. Pour pouvoir continuer dans cette voie, tu dois apprendre à te contrôler. Tout n'est pas toujours bon à dire... Comme tu as pu le constater.

Il esquisse un geste vague dans ma direction.

— Comment va ton bras, au fait ?

Je frémis de rage face à la provocation. Cependant, je fais tout mon possible pour l'ignorer. Je n'oublie aucunement que notre meneur est un menteur, doublé d'un manipulateur. Il fera tout pour m'amener là où il le souhaite, et je refuse de me laisser prendre au piège.

— Pourquoi n'as-tu jamais parlé de G.I.F.T.E.D. avant, desserré-je finalement les lèvres, changeant ainsi habilement de sujet.

Dorian me dévisage intensément, une drôle de lueur dans le regard.

— Car ça vaut mieux pour tout le monde, rétorque-t-il simplement.

— Tu te fous de moi ?! C'est tout ce que tu vas répondre ?

Il penche la tête sur le côté, son regard glacial soutenant le mien.

— Il y a certaines choses qu'il vaut mieux ignorer, Féline. Et G.I.F.T.E.D. en fait partie. J'ai mes raisons de n'avoir rien dit. Et je ne t'en ferai pas part, c'est tout.

Je suis estomaquée par sa réponse. Comment peut-il balancer un truc pareil avec autant d'aplomb ?! Cette fois, j'explose carrément.

— Tu n'es qu'un sale rat ! hurlé-je. Un menteur, et un traître ! Tu crois que je n'ai pas compris que tu leur livres les membres de ta propre communauté ?! Tout ça, tu ne le fais pas dans notre intérêt, mais dans le tiens, et uniquement le tiens !

Je secoue la tête, le visage déformé par un rictus amer, et m'avance à quatre pattes jusqu'au plus près de lui, là où les barreaux de ma cage deviennent un obstacle infranchissable. Je les agrippe fermement et plante mes prunelles emplies de haine dans les siennes.

— Comment peux-tu en avoir été réduit à faire une chose pareille... Tu me dégoûtes. Tu sais quoi ? Tant que tu y es, tu devrais m'envoyer là-bas en même temps que les autres. Car moi aussi, je suis une putain de mutante. Tu le savais ?!

Je secoue les barres de fer, et, cette fois, je sens que c'est autre chose que ma haine pour lui qui prend le dessus. Mes émotions, jusque là occultées par ma volonté, déferlent sur moi avec la puissance d'un cyclone, et m'emportent dans leur tourbillon infernal.

Je suis ballottée entre l'angoisse qui me ronge, l'incompréhension lancinante qui rampe sous ma peau, et la peur mêlée d'excitation qui se réveille à l'idée d'en savoir enfin plus sur moi-même... 

G.I.F.T.E.D.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant