Le regard glacé de Dorian me scanne des pieds à la tête, intransigeant. A mon plus grand étonnement, un léger sourire nait sur ses lèvres fines, habituellement toujours pincées en une expression sévère.
— Féline... murmure-t-il suffisamment fort pour que sa voix porte jusqu'à moi. Je ne pensais pas te revoir un jour vivante. Content de voir que tu t'en es tirée... Bien que ça ne soit pas dans des conditions idéales...
Je frissonne, pas vraiment rassurée quant au sort qui m'attend. Les derniers mots de notre chef de file sonnent tout de même très fort comme une menace, et je crois que j'aurais nettement préféré me retrouver en face d'inconnus.
Ses prunelles translucides glissent ensuite sur chacun des adolescents que ses troupes ont rassemblés.
— Quant à vous... grince-t-il. Vous méritez une sacrée correction. On ne vous a jamais appris que ce n'était pas bien, de voler ?
Je manque de m'étrangler. Cette leçon de morale enfantine, provenant de l'un des plus grands pilleurs de la cité, possède un petit côté ironique. Dorian pivote sur lui-même, s'adressant au garçon venu le chercher dans la galerie quelques minutes plus tôt.
— Qu'est-ce que tu en penses ?
Je reconnais la silhouette de Jamie, son second. Celui-ci s'avance dans la lumière, une grimace semblable à celle d'un requin, plaquée sur son horrible visage balafré.
— Je crois que Robby et ses hommes se feront un plaisir d'apprendre la vie à ces gamins prétentieux...
Un troisième homme, à la carrure colossale, vient alors se poster derrière lui. Je fais immédiatement le rapprochement entre mon agresseur et cet individu, qui est aussi le bras droit de Dorian. Un frisson de dégoût me parcourt l'échine au souvenir de ce corps plaqué contre le mien, et je ferme les yeux pour évacuer cette sensation désagréable.
— Ils avaient quelque chose en leur possession ? demande encore Dorian.
Jamie acquiesce, et esquisse un signe de la main.
Aussitôt, quelques adolescents approchent, les lourds sacs noirs entre les bras. Méthodiquement, ils les entassent aux pieds de Dorian.
A mes côtés, je sens Thunder tressaillir et se crisper. Par pur réflexe, mes doigts agrippent les siens. Le jeune homme me coule un regard étonné et, m'apercevant de l'étrangeté de mon geste, je le relâche en détournant le regard.
Je remarque alors une tignasse aubrun en désordre, surmontant une silhouette svelte. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
— Ian !
Ma voix tressaute, et, sans réfléchir, je me précipite dans sa direction.
Je pose ma main sur son épaule à l'instant même où il se retourne. L'expression qui anime son visage me frappe si durement que j'en ai le souffle coupé. Son regard est éteint, cerné, et ses joues sont creusées par l'inquiétude qui le ronge. Pourtant, lorsqu'il réalise ma présence, ses traits s'illuminent. Un immense sourire naît sur ses lèvres jusqu'à présent figées.
— Féline ! rugit-il, reprenant littéralement vie.
Il anéantit le peu de distance qu'il y a encore entre nous, et, le plus naturellement du monde, me prend dans ses bras. Peu habituée à ce genre de démonstration, je reste d'abord figée. Puis, me détendant subitement, je me laisse aller et le serre à mon tour contre moi, soulagée de le savoir en vie.
— J'ai cru que tu étais mort ! lui soufflé-je lorsque nous nous détachons l'un de l'autre. Comment vont Peter et Maëva ? Et les autres ?
— Ils s'en sont tirés aussi, hoche-t-il la tête, une expression rassurante sur le visage. Mais et toi ? Comment t'en es-tu sortie ?
Je hausse les épaules.
— C'est une assez longue histoire, réponds-je, mais je préfère t'expliquer tout ça plus tard.
Il ouvre la bouche pour répondre, mais une floppée d'injures, venant de Dorian, résonne dans l'espace circulaire.
Surprise, je me retourne dans sa direction. Il est penché au-dessus du tas de bagages, le regard fixé sur les broderies jaunes qui les ornent.
— Qu'est-ce que vous faites ici, vous tous... siffle-t-il en relevant la tête, un éclat suspicieux brillant dans ses yeux.
La question est rhétorique. Il désigne les sacs du doigt, comme pour s'assurer que tout cela est bien réel.
— G.I.F.T.E.D., lâche-t-il simplement.
Aussitôt, je vois Thunder se raidir, et ses mâchoires se contracter. Ian et moi échangeons un regard interloqué. Lui non plus n'a jamais entendu parler de l'organisation auparavant, et, au murmure incertain qui parcourt nos rangs, j'en déduis que c'est le cas de la plupart d'entre nous.
Seuls les quelques proches de Dorian ne mouftent pas, et je les dévisage, me demandant ce qu'ils savent exactement.
Tout à coup, un détail étrange, presque insignifiant, me revient en mémoire.
Lorsque j'avais une dizaine d'années, une fille rousse était revenue inconsciente d'une mission en extérieur. Elle était soutenue par ses camarades, qui avaient fait appeler Dorian. Ils étaient très agités.
J'avais assisté à cette scène depuis l'autre bout du réfectoire, cachée derrière le battant d'une porte, trop loin pour comprendre ce qu'ils disaient. Cependant, j'avais saisi que ce qui venait de se produire était loin d'être banal.
Au bout de quelques minutes de discussion, Dorian était parti, la fille rousse dans les bras. Je pensais qu'il allait la transporter dans notre infirmerie, mais, lorsque je m'y étais glissée quelques heures plus tard, il n'y avait personne. Et, le lendemain, il nous annonçait sa mort. Je dois avouer que, sur le moment, j'y avais cru. Comme chacun d'entre nous, d'ailleurs. Cela arrivait tous les jours.
Pourtant, deux ans plus tard, la scène s'était reproduite. Cette fois, le sujet était un jeune homme d'une vingtaine d'années. Il était en état de choc, et racontait des choses aussi incompréhensibles qu'improbables. Si je me souviens bien, il racontait qu'il fouillait la cale d'un navire, lorsqu'une armoire métallique avait failli l'écraser. Il s'était protégé le visage par réflexe, et l'impact n'était pas venu. Lorsqu'il avait soulevé une paupière, il s'était rendu compte que le meuble flottait dans les airs.
Un tel récit avait beaucoup interpelé. Un attroupement s'était formé autour de lui, et cela avait attiré l'attention de Dorian. Ce-dernier n'avait pas tardé à l'emmener avec lui, et le garçon avait également disparu de la circulation.
Cette fois, le meneur ne nous avait rien dit à son sujet, et, bien que nous nous demandions plus ou moins tous ce qu'il en était, personne n'avait osé poser la question.
Aujourd'hui, je me demande si ces deux incidents, qui pourraient aisément passer pour des coïncidences, ne seraient pas liés à la mystérieuse organisation.
Pour être tout à fait honnête, je n'avais, jusqu'à aujourd'hui, jamais imaginé qu'il puisse exister, quelque part, un reste de population qui n'était pas réduit à l'état primaire de survivant. Mais, maintenant, je réalise que je ne connais rien du monde dans lequel je survis. Et au lieu de me faire peur, cette constatation anime une flamme nouvelle au creux de mes entrailles. Si on nous avait menti, tout ce temps ?
Et si, ailleurs, nous avions une chance ?
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G.I.F.T.E.D.
خيال علميLa Terre, an 2050. Féline, jeune orpheline de 17 ans, a grandi dans un New York dévasté, parmi une communauté de survivants aux mains d'un meneur tyrannique. Obligée de travailler dur sous l'écrasante chaleur qui règne la journée, elle prend chaque...