Nicole prend son téléphone pour appeler son père. Elle ne lui parle pas souvent de vive voix. D'habitude ils communiquent ensemble par messageries instantanées en ligne. Mais là elle tient à l'appeler, pour confirmer le rendez-vous.
Pour échanger quelques mots ou le son d'une voix, dix chiffres suffisent. Nicole ne se souvient plus du numéro de son père, alors qu'il lui a donné il y a à peine une dizaine d'années. Elle ne le reconnaît même pas dans le répertoire enregistré dans le téléphone.
Il y a écrit « papa » sur l'écran de son Smartphone avec un numéro de fixe qui ne changera jamais ; et ce numéro de ligne mobile qu'elle ne retiendra pas.
Nicole n'a pas mis d'image pour l'occurrence « papa » du répertoire. Il y a aussi une adresse de courriel qui date d'avant la retraite de son père. Ils se contentent de la messagerie depuis quelques années, elle en prend un peu plus conscience sur le moment.
« Allô, papa ? »
Nicole se sent soudainement très fragile.
« Oui ? Salut Nicky ! »
Elle suppose que malgré son sale caractère, il est heureux de l'entendre.
« Comment tu vas ? »
Les banalités d'usages apparaissent. Les messageries permettent de s'en passer ; mais elles passent parfois aussi sur l'essentiel.
Son père a quelques petits soucis de santé. Il lui en fait part au compte-gouttes, ne disant que le nécessaire pour expédier la question.
Nicole sourit au téléphone, presque émue. Elle sait depuis longtemps qu'un sourire peut s'entendre.
De son côté, elle entend son père tasser une cigarette. S'il prend le temps d'en allumer une, c'est qu'il s'attend à ce que la conversation dure. Et quitte à entendre sa fille bavarder toute seule, autant s'en griller une...
Même au téléphone, fumer une cigarette permet de se donner une contenance. Entre deux bouffées, il dit à Nicole :
« Alors ? Dis-moi ? »
Il a fait l'impasse sur le « quoi d'neuf ? » parce qu'il sait ce qu'il y a de « neuf » justement. Il attend que Nicole dise ce qu'elle a à dire, la vraie raison de son appel.
« Huit heures, ce n'est pas trop tôt ? »
Si c'est trop tôt, elle le sait très bien. Mais son père n'est pas du genre à négocier. Il doit se douter aussi qu'elle a ses raisons.
« Bah, on fera avec, mercredi. Puisque c'est les vacances. Peut-être tu attendras un peu ! »
Il dit cela avec un rire forcé, pour s'excuser à l'avance de son retard à la gare de Colmar. Mais Nicole sait qu'il ne sera pas en retard pour la récupérer à la sortie de son train.
Il ajoute, avec une de ses gentilles attentions qui le caractérisent :
« Béatrice se chargera des fleurs, comme cela tu pourras voyager léger, sans te casser la tête. »
Nicole ne sait pas si les fleurs de la compagne de son père seront à son goût ; du moins elle sait déjà qu'elle n'aura pas besoin d'en transporter d'une gare à l'autre, ni d'en acheter la veille.
Il ne lui dit rien sur ce qu'il a prévu de faire, ou ses attentions. Ce sera à Nicole de se gérer, de demander, d'imposer. Son père s'est toujours comporté ainsi : être heureux de rendre service, mais sans jamais l'admettre.
Elle ne tente pas de lui soutirer les informations qui semblent couler de source pour lui. Elle se contente de le saluer, de lui rappeler qu'elle l'aime... Et coupe court à la conversation, prétendant avoir des choses à faire.
Ce qui arrange bien son père ; elle le connaît mieux que personne.
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Egarée
Paranormalune histoire présentée dans son intégralité, extraite de "La trilogie colmarienne" : Que dire de la surprise de cette voyageuse, qui arrive plus tôt, beaucoup plus tôt que prévu, en gare de Colmar ?