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Nicole va dans les bureaux de la gare, dans les bâtiments aux briques rouges et sans âges. Elle trouve l'aiguilleur, qui bougonne dans sa barbe noire en rangeant ou dérangeant des papiers qui s'amoncellent dans des piles instables, sur des plans de travail.

Nicole essaye de lui parler, mais le barbu lui fait signe de se taire.

« Est-ce que vous pourriez prendre le temps de me renseigner ? Je ne peux pas rester là à attendre que... »

Visiblement éreinté, l'aiguilleur marque un arrêt devant Nicole.

« Vous n'avez pas le temps, n'est-ce pas ? Nos lignes sont parmi les plus modernes qui soient, et on a encore et toujours des problèmes de temps ! Saviez-vous que les montres ont connu leur plus grand essor à la même époque où les trains se sont développés ? C'est justement pour que les voyageurs puissent savoir quand ils arrivent... »

Nicole ne sait comment réagir face à cet homme, qui ne lui indique rien et tout en même temps... Elle essaye pourtant de lui décrire la situation. L'aiguilleur prend le temps de l'écouter, en lissant sa barbe. Elle ne sait ce qu'il répondra, alors elle insiste :

« Comment est-ce possible que cela arrive ? Comment revenir ? Est-ce vous ? Pourquoi avoir fait cela ? »

L'aiguilleur a l'air de comprendre le problème de Nicole, tout en se sentant agressé par elle.

« Ohlà ! Doucement Mademoiselle ! Je n'y suis pour rien, au contraire, je subis cette pagaille comme vous ! Je cherche la solution, mais tous ces gamins et ces revenants m'en empêchent ! »

Nicole, pleine de désespoir, sort des bureaux pour aller sur les quais de la gare, pour attendre encore. Elle est dépitée, se dit que peut-être un train la ramènera chez elle le soir, si elle parvient à le reconnaître et que les choses n'empirent pas.

Tout cela parce qu'un train est arrivé trop vite, la voilà immergée dans un monde farfelu. Elle regarde le train vapeur, qui fonctionne au charbon. Nicole se dit que si la pression monte assez il peut exploser, mais que lui aussi doit servir à voyager dans le temps, comme tous les trains.

Une locomotive défectueuse peut tout détraquer. Si son train, le premier qu'elle a pris, est arrivé si vite, c'est peut-être à cause du chauffeur, qui a mal géré la pression, ou mis trop de charbon...

Nicole part donc à la recherche d'un des conducteurs de trains. Dans un des ateliers des cheminots, elle trouve un homme grand et maigre, au visage creusé, avec de longues mains. Elle l'a remarqué de loin car il est poisseux de noir, comme s'il était tombé d'une cheminée.

« Ma p'tite dame, vous vous trompez, j'ai fait comme d'habitude... J'peux rien faire pour vous... peut-être est-ce le charbon de trop bonne qualité qui m'a fait rouler trop vite... »

Le chauffeur se débarbouille en même temps qu'il lui parle. Il commence par se laver les mains à un lavabo blanc, parfaitement immaculé. Pendant qu'elle essaye de réunir ses idées pour poser les bonnes questions, Nicole voit un détail étrange.

Il y a un distributeur de savon électrique pour se laver les mains. Le genre de modèle qui donne juste la bonne quantité de liquide moussant.

Nicole se met à trembler. Elle prend conscience qu'elle n'est pas dans le passé. Il y a trop d'anachronismes. Trop d'époques mélangées, dans l'atelier du temps. Mélangées comme le noir du charbon dans le lavabo de faïence blanc. Un contraste qui ne gêne pas le conducteur de train.

Il sait pertinemment qu'il n'arrange rien à ce qui lui arrive, on peut même dire plus, il s'en lave littéralement les mains. Il lui tourne le dos, efface l'encre noire de l'Histoire, qui s'écoule dans le lavabo comme on jetterait un vieux journal.

Puis, le chauffeur se retourne, avec des flammes froides dans les yeux. Nicole sent ses tripes se nouer. Il lève la main, pour lui montrer ce qu'il tient. Il tient une petite chaîne, une sorte de collier avec un bijou.

Nicole quitte son visage du regard, pour voir ce que le chauffeur tient en main. C'est un collier, avec une pierre violette au milieu. Son pendentif en améthyste.

Un objet mystique censé lui ouvrir l'esprit. Un bijou qui a traversé le temps, pour venir jusqu'à Nicole.

Le collier qu'elle a mis pour se souvenir de sa mère.

F.M.R, Colmar, novembre 2017

EgaréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant