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Le train arrive à Colmar, et Nicole souffle enfin. Il est impossible de discuter avec le couple qui raconte des sornettes, comme s'ils allaient, ou revenaient droit du passé.

Mais Nicole voit, lorsque le train ralentit au quai, d'autres gens en costumes. Elle comprend enfin qu'elle a choisi le mauvais jour pour venir, que son père ne lui a même rien dit sur l'actualité de sa ville.

Il est évident pour Nicole que le vieux train et le couple de jeunes sont réunis pour le tournage d'un film d'époque. Les deux passagers avec elle ne faisaient que répéter leurs textes, s'ils avaient la chance d'avoir au moins un rôle parlant dans cette production.

Son père aurait tout de même pu la prévenir, songe Nicole. Elle regarde son téléphone. Il ne l'a pas appelé et ne lui a encore rien envoyé aujourd'hui. Nicole présume que même avec la meilleure volonté du monde, son père sera tout de même en retard pour venir la chercher.

Mais comme il a dit qu'il viendra, Nicole doit l'attendre sans bouger d'ici pour être sûre qu'ils ne se ratent pas. Elle se retrouve donc coincée dans la gare de Colmar, dans cette foule de gens déguisés et bruyants, sans savoir si elle peut ostensiblement sortir son Smartphone pour appeler, ou même simplement aller plus loin.

Elle surveille l'heure, jusqu'à ce que son téléphone vibre pour s'éteindre et ne plus s'allumer, faute de batterie. Nicole se demande comment on pouvait faire sans, il y a à peine quelques années.

Intrigué par son comportement, un contrôleur habillé à l'ancienne lui demande quel train elle attend, en fixant à ce point les aiguilles de la grande horloge.

« Je n'attends pas de train ; j'attends mes parents qui doivent venir d'ici ! Mais avec ce qui se passe en ce moment... »

Nicole rit de bon cœur, quand le contrôleur se met à plaisanter pour la rassurer.

« Les gens sont comme les trains : jamais à l'heure ! »

Nicole se décide tout de même à prendre le souterrain, pour passer sous les voies et se rapprocher de la sortie. Et elle voit quelque chose de très étrange, en ayant à peine descendu quelques marches : dans l'allée où il y a toujours des affiches, de cinéma, d'exposition ou de spectacles, elle observe d'où sortent les gens en costumes, tous ces gens...

Ils sortent des affiches de films qu'il y a sur les murs carrelés du souterrain. Avec de grands yeux, Nicole touche l'affiche, se sent défaillir : il n'y a pas de portes ni de rideaux, les personnages jaillissent des images de papier.

Nicole les regarde tous d'un nouvel œil. Elle les dévisage et reconnait ces vieux acteurs qui semblent vivre leurs vies de tous les jours... Elle se sent prise de panique, elle comprend qu'elle n'a rien compris, ou qu'elle ne comprend plus rien !

Elle remonte sur le quai d'où elle est sortie du train. Elle ferme les yeux, respire, se pince, rouvre les yeux : non, elle ne rêve pas, oui, elle est dans une vieille gare, et il n'y a qu'elle qui fait tâche au milieu de ce temps auquel elle n'appartient pas.

Nicole voit des personnes décédées, oubliées, qui sont là, avec elle. Des personnalités illustres, là, comme habillées au jour de leurs propres enterrements. Elle est bien arrivée à la gare de Colmar, elle en est sûre. Mais son train est peut-être arrivé trop tôt...

Elle sort de la gare, court, prise de panique, mais elle ne sait plus où elle est. Il y a ce type, très entouré, qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à Bartholdi... et puis ce vieux véhicule militaire, qui lui fait penser à des images de la seconde guerre, qui passe devant elle, dont juste un morceau de drapeau, au coin rouge et un arrondi blanc est visible, avec deux hommes en tenues d'officier militaire aux cheveux coupés courts, très courts...

Nicole tourne les talons aussi vite que possible : elle sent qu'il n'y a rien de bon pour elle à s'enfoncer dans le passé.

EgaréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant