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Nicole est dans le train qui traverse, entre Mulhouse et Colmar, une partie de la plaine d'Alsace. C'est un paysage qu'elle ressent en elle, entre Vosges et Rhin.

Mais la beauté de ce qu'elle voit la surprend. Il est rare qu'un paysage soit plus beau que dans le souvenir, pourtant c'est exactement ce qui s'offre à ses yeux.

Elle s'est attendu à avoir une vue encore un peu sombre, à une heure si matinale. Elle s'est dit que cela ne vaut pas la peine de s'éblouir du soleil automnal qui émerge de la Forêt Noire, côté allemand. Elle a voulu voir les cimes vosgiennes se réveiller doucement. Ne s'attendant à rien, elle ne pouvait être déçue...

La nature, sa région, la surprend au-delà de son éclat. Les couleurs sont magnifiques. Les champs de céréales moissonnés sont comme des mines d'or dévastées, dont on aurait oublié de récolter une partie du scintillant minerai.

Il y avait là maïs, blé, orge, quantité de variétés dont les tiges qui n'ont pas été fauchées ont parfois déjà été enfouies sous la terre lourde par les paysans.

La richesse des cultures rayonne au soleil naissant, seul la terre peut faire de l'ombre à la terre, que les nuits d'hiver s'apprêtent à ressourcer. Et, plus loin, avec des villages en guise de pieds, les vignes grimpent sur les belles collines sous-vosgiennes.

Plus haut encore, la forêt sur les montagnes des Vosges. Nicole se sent revenir chez elle, dans ce bonheur agréable et chaud. Elle se sent revenir à ce qui a toujours été, jusqu'à sa première surprise de la journée.

En effet, en patientant à la gare, elle a failli éclater de rire en voyant quel train s'est arrêté devant elle, et qu'elle ne pouvait que prendre Il ne sentait pas très bon, parce que la machine s'était peut-être mal réveillée.

Autant le paysage est joli, autant un des vieux trains rouge et jaune, que Nicole a cru disparu des lignes depuis sa jeunesse, rajoute un charme pittoresque qui mérite d'être relevé.

Il n'est pas sûr que son père veuille la croire ; pourtant c'est ce qu'elle vit, et ce ne sera pas l'anecdote la plus curieuse... Dans le train, certains voyageurs semblent avoir eux aussi joué le jeu de cet anachronisme.

Un couple d'amoureux, un peu plus jeunes que Nicole, est en vêtement de fête, endimanchés comme s'ils venaient de sacrer leur union. La femme a une robe blanche printanière, une ombrelle, et quelques jupons de dentelles dépassent discrètement pour montrer qu'ils sont assortis à sa petite coiffe liée sous son menton.

Son homme est habillé d'un costume gris, avec une montre gousset dont la petite chaîne est bien visible sur son veston, un haut de forme à côté de sa main gantée...

Nicole les observe avec un sourire, un peu nostalgique et envieuse. Elle aurait aimé être à leur place, rire comme seule la jeunesse peut le faire. Et puis, qu'est-ce qui l'empêche d'être insouciante, de toute façon ? Elle n'est elle-même pas si âgée !

Les deux jeunes gens s'amusent sagement, de cette joie qui rappelle un passé révolu. Tandis que le train poursuit sa route, Nicole se permet de les interroger sur leurs apparences :

« Vos costumes... c'est pour un film, n'est-ce pas ? »

La jeune femme, transparente de légèreté, a ce drôle de commentaire en réponse :

« Cette époque est fantastique ! Le cinématographe des frères lumières est le symbole du monde moderne ! Plus rien n'arrêtera les canaux de l'information ! »

Croyant à une blague, Nicole baisse les yeux et se met à jouer sur son Smartphone.

EgaréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant