Assise devant son bureau, elle ne contrôle plus la moindre parcelle de son esprit. Elle qui d'habitude a un sang froid à toute épreuve ne parvient pas à se calmer. Ce qu'elle a vu et entendu ce jour-là l'a ébranlé au plus profond de son être. La tête entre les mains, les yeux fermés pour empêcher les larmes de couler, elle ne fait rien pour lutter contre le doute qui s'empare d'elle. Elle n'en a plus la force. Elle s'est déjà battue si longtemps pour rester debout et avancer, elle a utilisé toutes les ressources qu'elle avait en elle pour ne pas s'effondrer, elle a l'impression que plus rien ne pourra l'aider. La muraille qu'elle a pris tant d'années à bâtir pour se protéger des autres et d'elle-même s'effrite à mesure que sa volonté l'abandonne. Elle ne parvient pas à refouler sa tristesse au fond de son cœur comme elle le fait toujours, cette fois le vase est plein, sur le point de se briser même. Seulement elle ne peut pas se permettre de laisser faire ça, parce que si plus rien ne se met entre elle et ses peurs, ses tristesses ou ses colères, elle ne s'en remettra pas, elle le sait. D'un coup un sentiment d'urgence s'empare d'elle et elle saisit prestement un feuille et une stylo.
Écrire
Le sang qui s'écoule de son cœur prend alors la forme de mots sur le papier. Elle déverse sur la feuille tous les sentiments qui l'étouffent. Elle écrit sa révolte et son dégoût. Si elle ne trouve pas les mots dont elle a besoin, elle en invente. Peu lui importe de savoir si ses phrases ont du sens ou non, elle doit juste vider son cœur pour ne pas exploser. Et plus elle écrit, mieux elle comprend ses sentiments, elle découvre des choses qu'elle n'avait jamais remarquées avant, des choses dont personne ne lui a jamais parlé, des choses inconnues et pourtant présentes dans chacun des êtres vivants.
Écrire pour nommer ce qui n'a pas de nom.
L'encre forme un chemin où elle laisse ce qu'elle voudrait dire à quelqu'un, elle met des mots sur ses plus grandes faiblesses, ses failles les plus profondes. Elle écrit pour compenser son incapacité à dire, pour ne pas se noyer dans ses silences mortels. À mesure que les mots s'enchaînent elle respire un peu plus librement. L'air la libère peu à peu de ses sentiments et la ramène à la vie, car oui, écrasée sous toutes ces paroles que ses lèvres refusaient de laisser passer, elle était comme morte, comme une âme qui hère sans autre but que de trouver le moyen de s'envoler. Et en saisissant ce stylo, elle a trouvé ses ailes.
Écrire pour dire ce qui ne peut l'être.
Quand le papier est plein de toutes ses blessures, le mouvement de sa main ralentit un peu, son cœur se calme et les larmes jusque là coincées dans ses yeux disparaissent. Le tumulte qui la secouait recule comme une armée qui capitule. Sur le dessus de la plume de son stylo, les traces d'encres à moitié séchées sont comme les cicatrices qui couturent son esprit. Elle se sent comme le soldat qui se relève après une longue bataille : libérée, épuisée, heureuse, dévastée. Elle regarde sa main tremblante posé sur le bureau, puis la feuille à côté, et se demande où elle a trouvé la force d'écrire tout ça. Puis elle comprend que cette force était celle de ses émotions les plus sombres, ces mêmes émotions qui la rendaient faible, elle s'était servi de leur puissance pour les vaincre. Le poids des mots avaient été plus puissant que celui des sentiments.
Écrire pour se battre.
Pourtant, même en ayant couché sur le papier tout ce qui la minait de l'intérieur un doute continue de s'accrocher à elle, comme pour lui montrer qu'elle n'a pas gagné, qu'ils sont toujours là en elle, et qu'ils reviendront. Mais ça elle le savait déjà, on ne peut pas tuer sa part d'ombre sans la part de lumière qui va avec. Mais maintenant elle est plus forte, et même si cela doit entraîner la croissance de ses doutes, au prochain assaut elle sera prête. Elle sourit tristement en pensant au combat éternel contre elle-même qu'elle a commencé le jour de sa naissance. Ce combat que tout le monde est destiné à mener, et qui, tout en nous rappelant nos faiblesses, tout en nous faisant souffrir, nous permet d'avancer, de progresser, de devenir ce que nous sommes : une personne à part entière. Pourquoi faut-il toujours toujours se battre pour obtenir ce que l'on souhaite et ce dont on a besoin ? Elle sait bien que si tout venait à elle sans qu'elle ai le moindre effort à faire, la vie serait fade, ennuyeuse, et n'aurait plus de raison d'être, mais elle ne peut s'empêcher de l'espérer parfois. Cet espoir égoïste qui la saisie de temps en temps sans prévenir, et qui pourrait la pousser à s'oublier elle-même pour accéder à un confort dont elle n'a pas besoin si sa conscience ne lui rappelait pas à chaque fois ses valeurs. D'un coup elle comprend la source du doute qui continu à mordre son cœur. Elle ne doit en aucun cas oublier qui elle est, et le combat qu'elle mène, pour elle et pour les autres à chaque minutes, alors elle attrape une autre feuille et son stylo.

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Les Mots du Vent
Short StoryDes histoires comme des rêves. Des messages d'espoir ou des cris au secours. Entre réalité et magie. Comme un bouquet de fleurs que l'on offre, Un recueil de nouvelles.