On danse ?

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  Ainsi c'était donc ça qu'on appelait « la jungle » ?... Jason se souvenaitde ses cours, au collège, sur la forêt amazonienne. Il ne reconnaissaitrien. Où étaient les plantes et les arbres immenses ? L'hévéa, le manguier,le palmier royal, et les lianes enchevêtrées ? Partout autour delui il ne voyait qu'un sol boueux, hérissé ça et là de maigres buissons.Partout des tentes dressées, rafistolées, des bicoques branlantes, dessemblants de huttes couvertes de bâches en plastique vert ou bleu.Une luxuriance d'immondices, ça oui. Et les bêtes sauvages ? Oùétaient le jaguar et le tapir, le tatou et le tamanoir ? Et les somptueuxdauphins roses du fleuve ? Et les redoutables caïmans ? Qui, ici, étaientles prédateurs et qui étaient les proies ? On lui avait enseigné que lajungle était un écosystème essentiel pour la planète, un de nos principauxfournisseurs d'oxygène : l'Homme en avait besoin pour respirer.Pour vivre. Mais il avait aussi appris que la jungle prospérait le long del'équateur, en Amérique du sud ; jamais il n'aurait imaginé la trouveren pleine zone industrielle, à quelques encablures de la Manche !Son regard s'arrêta sur une fillette à la peau sombre. Seule, l'air éperdu.Il pensa aux images de ces Indiens chassés de leurs terres, sacrifiéssur l'autel du dieu Argent. À quelle tribu appartenait celle-ci ? 

Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea verselle.  

   En l'entendant s'approcher la petite posa ses yeux sur Jason. Son regard à la fois apeuré et curieux troubla le garçon qui ralentit pour ne pas la faire fuir. Il continua d'approcher la petite fille à pas comptés, comme on approche un animal sauvage que l'on ne veut pas effrayer. Quand il arriva près d'elle, il s'accroupit pour se mettre à la hauteur de la fillette.

-Comment tu t'appelles ? Demanda-il.

La petite le regarda dans les yeux et Jason eut l'impression de se noyer dans son regard noir comme la nuit. Puis elle lâcha dans un souffle :

-Kayla.

-Moi je m'appelle Jason.

-Tu viens jouer avec moi ? demanda la petite, la voix tremblante.

En entendant ce ton presque suppliant Jason sentit son cœur se serrer et hocha la tête. Kayla lui saisit alors la main et l'entraîna derrière elle dans cette jungle de tentes et d'abris bancals. La petite le tira jusqu'à une sorte de cabane faite de bric et de broc et l'invita à entrer. Jason se baissa pour passer la porte, mais une fois dans la maison il dut reconnaître que l'intérieur, bien que très étroit, était plutôt bien organisé.

-C'est ma maison avec Grand-père.

La voix de la petite tira Jason de sa contemplation d'une carte accrochée au mur. Il regarda la fillette et lui demanda :

-Et tes parents ils sont où ?

-Là-bas, dit Kayla en montrant un endroit en Afrique sur la carte. On joue maintenant ?

Kayla poussa Jason vers un coin de sa maison et lui montra deux poupées de chiffon. L'une des deux était petite à la peau noire, des boutons foncés à la place des yeux et l'autre était grande, la peau jaune et deux perles bleues sur le visage.

-Elle c'est Nira, dit Kayla en montrant la poupée sombre, et elle c'est grande sœur. Elles sont toutes les deux parties en promenade, et là elles cherchent à manger.

Jason joua à inventer les péripéties des deux poupées tandis que Kayla les mettait habilement en scène. Toute la matinée ils firent connaissance, riant aux éclats à la moindre occasion. Jason fut surpris de la vitalité, du sérieux et de la maturité de Kayla. À sept ans elle a du traverser des batailles bien pires que les miennes et pourtant elle a encore un rire d'enfant.

Les Mots du VentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant