La bataille

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Il soupire en entendant les coups contre sa porte. Les Hommes ne lui accorderont donc jamais la vie calme et isolée à laquelle il aspire tant ?

- Qui est-ce ?

- Nous venons vous demander si vous avez réfléchi a notre demande et si vous avez changé d'avis.

- Ma décision a été prise il y a quinze ans de cela et je ne reviendrai pas dessus.

Il aurait aimé que sa voix sois ferme, mais à l'évocation de ce sombre jour il n'a pas pu l'empêcher de trembler.

- Ouvrez-nous au moins votre porte que l'on puisse discuter. Vous êtes un combattant hors pair et votre aide nous serait vraiment précieuse pour cette bataille. Sans vous nos chances de l'emporter sont quasiment nulles.

- Je ne vois pas comment ma seule personne pourrait changer l'issue de votre combat...

- Parfois un simple mots peut changer le sens d'un texte, une goutte d'eau peut faire sortir une rivière de son lit, alors pourquoi un seul homme ne pourrait-il pas modifier le cour d'une guerre ?

Le vieil homme sens une larme perler au coin de son œil quand il entend la réponse de son interlocuteur. Il sait à quel point cette phrase est vraie, car il avait été un jour de ces hommes capables de faire pencher la balance en faveur de son camp quand tout semble perdu. Mais ce n'est plus le cas, ni aujourd'hui, ni demain, ni plus jamais.

Pourtant, il avance péniblement jusqu'à la porte en s'appuyant sur une canne en bois. Il ferme les yeux au moment où sa main se pose sur la poignée et se remémore les nombreuses batailles qu'il a vécues. Cela le mène inévitablement à penser à LA bataille.

Ses souvenirs sont si puissants qu'il peut voir les drapeaux rouges de son armée, leur chef se tenant fièrement sur son cheval alezan, et les étendards blancs immaculés de leurs ennemis. Il peut sentir les frémissements de sa monture entre ses jambes, entendre le murmure du vent sur la plaine.

C'est comme s'il se retrouvait à nouveau au milieu de ses camarades. La tension augmente quand leur meneur s'avance à la rencontre de celui de leurs opposants. Même s'ils sont quasiment sûrs de gagner, ils savent aussi qu'il ne faut jamais sous-estimer ses adversaires, surtout quand ils ont des armes capables de cracher le feu et le fer.

Les canons avaient déjà fait tomber nombre de leurs camarades, mais malgré ça, personne dans les rangs alliés ne tremblait. Même s'ils savaient qu'il y aurait encore des morts aujourd'hui, ils restaient la tête haute car ils avaient confiance en leurs montures, en leurs armes et en leurs frères. Les canons étaient peut-être destructeur, mais ils ne possédaient pas l'âme des katanas* et des yumis* des samouraïs.

Après la joute verbale traditionnelle, les deux chefs étaient retournés auprès de leurs armées respectives. Le silence qui s'était installé avec la tension se brisa au son des cris de guerre. Il joignit sa voix à celles de ses camarades. Des centaines de voix poussaient un seul et même cris à l'unisson. Un cri de colère, de fierté, de force et de courage. Un cri que leurs ancêtres avaient poussés avant eux, et que leurs descendants pousseraient un jour. Un cri qui rassemblait les cœurs à travers l'espace et le temps. De l'autre côté de la prairie, le même cri faisait écho au leur. Peut-être la tonalité était elle légèrement différente, mais la signification était la même.

Peu après les deux armées s'élançaient l'une vers l'autre. Les canons commencèrent à tirer eux aussi, créant de grands trous mortels. Les samouraïs eurent tout de même un court répit quand tous les boulet furent tirés. "30 secondes avant la prochaine vague de tir" les cavaliers continuaient leurs progressions. Les deux armées se rapprochaient rapidement, bientôt les canons devraient tirer dans la mêlée, sans savoir s'ils abattent ennemis ou alliés? Cet avantage, les samouraïs comptaient en profiter. C'était comme s'il avait poussé des ailes à leurs montures qui semblaient galoper aussi vite que le vent.

Le contact se fit, et tous tirèrent leurs armes. Les katana et les épées s'entrechoquaient en produisant des sons clairs. Une volés de flèche arriva du bois. Elles rebondissaient sur les armures des samouraïs tandis qu'elles se plantaient sans peines dans leurs ennemis.

Comprenant la menace, une partie des canons se tourna pour tirer dans les bois, mais le temps de la mise en place, quatre autres salves de flèches atteignirent les combattants, tuant ou blessant bon nombre d'ennemis. Lorsque les canons tirèrent enfin, une vague de samouraïs à pied ou à cheval en sortit en criant. Les forces ennemis commençaient à reculer sous la pression, ils comprenaient qu'ils avaient sous-estimé les samouraïs et leurs valeurs au combat. Il leur restait cependant un atout... Des explosions se firent entendre et une pluie de boulets de canon tomba sur les champs de bataille, semant la mort partout. Les ennemis se dispersèrent ce qui permis aux guerrier japonnais de s'élancer vers l'artillerie. Les chevaux galopaient vite et droit devant. Tant qu'ils étaient loin, les canons avaient l'avantage, mais s'ils réussisaient à se rapprocher assez, leurs boulets deviendraient impuissants. Mais avant d'être assez proche pour que la situations tourne à leur avantage, il y aura surement encore beaucoup de morts, car en se rapprochant des canons, ceux ci peuvent viser avec bien plus de précision que sur une longue distance. Le son d'un boulet qui fait siffler l'air retentit et une explosion fait trembler la terre juste à côté de lui. Son cheval tombe à la renverse et culbute plusieurs fois avant de se stopper. La puissance de l'explosion était telle qu'elle les a projetés plusieurs mètres plus loin. Le cavalier essaie de se dégager, sans succès. Ses jambes sont coincées sous le poids du cheval immobile. Il ordonne à sa monture de se relever avant de comprendre que si elle ne bouge pas, c'est parce qu'elle n'a pas survécu. Il recommence à se débattre, mais ses jambes ne lui obéissent plus et une douleur terrible enflamme son dos. Peu à peu l'obscurité envahit son champ de vision, comme si son corps n'aspirait plus qu'à un repos éternel.

Le vieil homme rouvre les yeux, la main sur la poignée de la porte. Le repos éternel... Il n'y a pas eu droit, comme si la mort l'avait rejeté. Ses camarade l'avait retrouvé après avoir remporté une victoire écrasante contre l'artillerie. Ils l'avaient ramené et soigné. Il ouvre la porte et invite les deux jeunes à le suivre. Il va péniblement jusque dans une pièce qui sert à la fois de salle à manger, de cuisine et de salon. Il s'assoit lourdement sur une chaise et attends que ses invités fassent de même avant de prendre la parole.

-Je sais pourquoi vous êtes ici. Mais je vous le répète : je ne vous serai d'aucune utilité sur le champs de bataille. Lors de mon dernier combat j'ai été blessé à la colonne vertébrale, et si le temps m'a permis de remarcher, je ne peux le faire qu'avec une canne et beaucoup de difficultés, alors pour monter à cheval, ou encore se battre, je ne caresse même plus l'espoir de pouvoir le refaire un jour...

-Nous savons tout cela, mais vous avez tort : vous pouvez encore vous battre. Pas avec un katana, certes, mais avec une arme tout aussi puissante, voire plus, car ce que vous ferez avec continua à toucher des gens dans le futur. Cette arme ce sont les mots...

-Je ne vous suis pas...

-Vous avez été un grand combattant, mais vous êtes aussi un sage. Le champ de bataille dont nous vous avons parlé n'a rien à voir avec ce que vous avez côtoyé autrefois. Tout ce que vous aurez à faire pour nous garantir la victoire, c'est nous donner votre voix et vos mots.

- Vous voulez que je fasse un discours ?

-Oui.

Le vieil homme comprend maintenant, et il sait aussi que cette bataille serait la plus compliquée, la plus intense et la plus belle de toute celle qu'il aura mené de sa vie d'homme.

-Pourquoi moi ?

-Car même si vous ne pouvez plus vous battre comme avant, vous restez ce que vous êtes : un guerrier hors pair, mais surtout un grand homme.

-Alors je me battrais à vos côtés.


* Katana : sabre japonais.

*Yumi : arcs des samouraïs.


* * * * *


On dit souvent que pour progresser il faut sortir de sa zone de confort, c'est pour ça que j'ai écrit cette nouvelle. Je suis très nulle pour écrire les scènes de combat alors je me suis dit que ce serait bien d'en écrire une.

Les Mots du VentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant