Chapitre 15 - Cendres du passé

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"Mais mec, arrête de croire que t'es le roi du monde, t'es juste minable, t'es juste un p'tit gars aux trop grands espoirs."

***

J'ouvre les yeux en sursaut et tombe nez à nez avec un Lysandre endormi. Encore ce maudit cauchemar, que je fais chaque soir, depuis plus de deux ans. Et chaque fois, je me réveille avec cette angoisse qui me prend les tripes. Qui me rappelle que je dois rester sur mes gardes, comme un animal traqué. Je suis un animal traqué. Je passe lentement ma main sur mon visage, pour chasser les dernières images de cet horrible cauchemar. La réalité effroyable de celui-ci me glace le sang.

Je regarde Lysandre qui est à moitié couché sur le canapé. Hier, nous sommes restés tard devant la télé, nous avons dû nous endormir sans nous en rendre compte. En regardant par la fenêtre, le soleil éclatant me force à plisser les yeux. Enfin du soleil. Je me lève doucement, toujours dans les vapes, les membres encore engourdis de ma mauvaise position sur le canapé et me dirige vers la cuisine pour me préparer un café ainsi qu'un pour Lysandre. En attendant que le café soit prêt, je regarde l'horloge. Putain, j'ai à peine dormi quatre heures. Lorsque les cafés sont prêts, je prends les deux tasses et reparts au salon. Lysandre est dorénavant couché sur le ventre et s'étale de tout son long sur le canapé. J'étouffe un énième baillement, pose les tasses sur la petite table et me couche sur Lysandre, mon torse collé à son dos, mes cuisses collés aux siennes, ma tête dans son cou. C'est pas ma faute si il prend toute la place. Et puis, il est confortable. Lysandre remut un peu, sûrement encore à moitié endormi, mais ne dit rien.

-Lysandre.

Rien ne passe.

-Lysandre.

Il pousse un petit grognement mécontent. J'enfonce mon visage dans sa nuque et passe mes bras autours de sa taille. Qu'est ce qu'il me prend ?

-Tu m'écoutes ? C'est important.

Un petit "oui" étouffé me répond.

-Ne me coupe pas la parole, d'accord ?

Une fois encore, un petit hochement me confirme son attention.

-Tu sais, je n'étais même pas encore né que mon père me détestait déjà, mais ça je te l'ai déjà dit. C'était quelqu'un de méchant, du plus profond de son âme. Je n'étais rien pour lui, à part un boulet accroché à son pied. Il ne faisait que me cracher les pires choses au monde, il ne faisait que me frapper. Je n'étais qu'un enfant, je n'étais pas scolarisé, je ne comprenais pas. C'était normal. Je ne pouvais pas compter sur ma mère. Elle était shootée aux médocs tout le temps, c'était un zombie. Jusqu'à mes dix ans, c'était ça ma routine. Puis j'ai commencé à sortir de ce qui était censé être ma "maison". Et j'ai rencontré d'autres jeunes de mon âge. Et je me suis fait ma première amie. A. La seule.

-Celle qui t'a laissé la trace de rouge à lèvre ?

-Oui. C'est devenue le centre de mon monde très rapidement. Et on s'est rendu compte qu'on vivait la même chose. Alors tous les deux, on s'est serrés les coudes. C'était nous deux contre le reste du monde. À nos douze ans, c'était devenu de pire en pire chez elle comme chez moi. On rêvait de liberté, on voulait juste vivre loin de la haine. Sans peur. Sans douleur. Puis un jour, en rentrant chez moi, mon père m'a frappé, j'ai cru que j'allais y passer. Après ça, on a décidé de partir, elle et moi. On a vécu dehors, quelques mois, seul, dans le froid et la faim. Et un jour, une voiture s'est arrêtée devant nous et un homme en est sorti. Il est venu nous voir et il nous a promis tellement de choses: plus jamais nous n'aurions faim, plus jamais nous n'aurions froid, plus jamais nous n'aurions peur, plus jamais nous n'aurions mal. Et nous, nous n'avions que douze ans, nous avons cru à ses belles paroles, alors on l'a suivit. On aurait dû se douter que personne ne voulait réellement nous aider. Bordel, on aurait dû comprendre, après ce que l'on a vécu, que l'être humain était vicieux et profondément méchant.

Je m'arrête quelques secondes, ma mâchoire se contracte en même temps que mes yeux se ferment. Je prends une bouffée d'air, j'ai l'impression d'étouffer.

-Sauf que lorsqu'on s'est rendu compte de la réalité, c'était trop tard. Nous étions devenu ses pions, les pions d'un chef de gang. Pendant quatre ans, il s'est servi de nous. Il s'est servi de nous en larbins. Il nous a obligé à faire des choses horribles. J'ai fait des choses que je regrette suffisamment, suffisamment pour y penser tout le temps. On est resté pendant quatre ans. On ne pouvait pas partir, nous n'avions rien.
Mais nous voulions partir loin de cet enfer. À nos seize ans, on lui a volé un paquet de fric. On s'est cassé de son gang de merde, puis A. et moi on a dû se séparer, pour qu'il ait moins de chance de nous retrouver, et on a changé de ville. Mais on ne peut pas se tirer d'un gang comme ça, il nous a sûrement cherché, peut-être même qu'il nous cherche encore. Et j'espère qu'il ne nous retrouvera jamais, parce que ce qui est sûr, c'est qu'on n'en ressortirait pas vivant.

Je ne sais pas ce qu'il m'a prit de lui en parler, le choc de mon cauchemar sûrement. Sans m'en rendre compte, mes bras se sont resserrés autour de Lysandre qui ne fait aucun bruit. Je ne veux pas qu'il se retourne et me regarde, j'ai honte, tellement honte de ma propre faiblesse. Je ne sais comment mais il parvient quand même à se retourner. Je suis dorénavant posé sur son bassin et il me regarde droit dans les yeux. Impossible pour moi de soutenir son regard alors je me recouche contre lui, la tête lové dans son cou. Il passe ses bras autours de ma taille et me serre encore plus contre lui.

-C'est pour ça que tu t'es réveillé en sursaut ? Tu faisais un cauchemar ?

Quoi ? Je croyais qu'il dormait, il devait faire semblant. Je n'avais même pas remarqué.

-Oui, à chaque fois c'est la même chose. Je revois mes parents, ils ont un trou béant au milieu de la poitrine, comme si on leur avait arraché le coeur. Il y a du sang partout. J'entends leurs voix qui hurlent que c'est de ma faute, uniquement de ma faute. Puis je tombe dans le vide, puis je vois A., je la vois mourir. Elle est attachée à une chaise, quelqu'un lui tire une balle dans la tête et je ne peux même pas bouger pour l'aider. Des larmes, du sang commencent à couler de ses yeux et elle me hurle de partir, de fuir, pourtant je ne bouge pas. Puis j'entends sa voix. Il me dit qu'il m'a retrouvé, il me dit qu'il fera en sorte de me briser. Et je me retrouve soudainement face à un miroir, et le reflet c'est moi. Quand j'étais enfant, les mains ensanglantées, mais pas de mon sang, et derrière, il y a plein de corps, tous morts, tous ceux que j'ai tué. Et mon jeune reflet regarde ses mains puis les plaque sur ses oreilles et hurle à plein poumons. Et je me réveille à chaque fois après ça, c'est toujours le même rêve.

Le silence prend place après la dernière phrase de mon monologue. Plusieurs minutes passèrent sans aucune réponse de la part de Lysandre, ses bras ne me repoussant pourtant pas. Maintenant qu'il sait, il va me virer de chez lui c'est sûr.

-Merci, mon ange, de m'avoir fait confiance. Maintenant, il ne t'arrivera plus rien. Je serais ton ange gardien.

Hadès.[BOYXBOY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant