L'oubli

26 7 0
                                    

En sortant de chez M. Index, l'agent Gauche pesta furieusement. Il avait oublié de demander à son suspect pourquoi Mlle Pouce et lui s'étaient disputés. Il se sentit très bête. Une petite voix -qui, étrangement, ressemblait beaucoup à celle de Calligraphe Droite- lui souffla à l'oreille que, si c'avait été l'enquête de sa sœur, elle n'aurait jamais fait une telle erreur.
L'agent Gauche, à qui cela rappela de très mauvais souvenirs, s'affaissa contre un mur abimé. Il ferma les yeux, et fit un saut dans sa mémoire.
Il n'avait qu'une dizaine d'années, à cette époque-là. Pour se moquer de lui, on avait accepté qu'il prenne la place de sa sœur. L'agent Gauche, évidemment, ne se doutait de rien. Il était si heureux. Il allait enfin pouvoir prouver sa valeur. Tous ces gens lui faisaient confiance. Mais, lorsqu'il échoua, tous éclatèrent de rire, sa sœur comprise. Elle aussi était dans la combine. L'agent Gauche n'avait jamais pu sortir cette mutinerie de ses souvenirs. De longues années, il avait été hanté par cette horreur. Pour lui, cela avait frôlé le harcèlement. Peut-être parce qu'à plusieurs reprises, Calligraphe Droite avait recommencé, entourée de ses nombreux amis.
L'agent Gauche se releva brusquement. Il ne pouvait pas se permettre de rester assis alors qu'une enquête de la plus haute importance l'attendait. Le passé attendrait !
Il consulta son téléphone portable et... Sacrilège ! l'informatrice Oreille avait eu vent de certaines informations. Il devait impérativement la rappeler. Étrangement, l'informatrice Oreille entendait toujours un tas de choses. Exactement comme sa cousine, l'informatrice Œil !

-Informatrice Oreille ? C'est l'agent Gauche. Vous m'avez appelé.

-Je me souviens. J'ai des... informations pour vous. Mme Majeur, la voisine de Mlle Pouce, a commandé une cargaison de griffes. Vous savez comment a été agressée la victime... Je vous laisse méditer là-dessus, Agent Gauche. Mais n'oubliez pas d'être discret : vous êtes l'un des meilleurs.

L'informatrice Oreille avait toujours un gentil mot à l'égard de l'agent Gauche. Peut-être était-ce parce qu'elle savait ce qu'il avait, dans son enfance, vécu. Mais l'heure n'était pas aux remerciements. L'agent Gauche changeait de programme : il interrogerait Mlle Annulaire plus tard. Pour l'instant, il devait se rendre chez Mme Majeur. Ce ne serait pas une mince affaire : le dossier de la femme indiquait clairement qu'elle était sourde d'une oreille. Et très vulgaire. Elle n'ouvrirait sûrement pas avant un long moment... Malheureusement, l'agent Gauche n'avait pas suffisamment de temps pour se permettre d'attendre que Madame pointe le bout de son nez. Il lui faudrait frapper fort. Au sens propre, comme au figuré. Et, pour ça, il n'avait plus que cinq heures et vingt-sept minutes. Le temps passait à une vitesse considérable ! Et l'agent Gauche aurait bien bu une tasse de café.

Les cinq doigts de la mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant