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Après avoir mangé le meilleur pavé de truite de ma vie et un fondant au chocolat dans la Vieille-ville, Charlie m'emmène faire un tour sur les quais. Habituellement pris d'assaut par des groupes de jeunes, et moins jeunes, équipés d'enceintes sans fil et de packs de bières, l'endroit est presque désert ce soir. La faute au temps capricieux, qui écourte notre balade. Nous sautons dans un tram quand il se met à pleuvioter et Charlie me raccompagne chez moi.

À l'abri dans le hall de ma résidence étudiante, notre bisou d'au revoir se transforme en un super long baiser baveux quand sa langue s'invite dans ma bouche. Après une soirée passée à lui tenir le bras comme seul contact physique, je commençais presque à désespérer face à son manque d'initiative et craignais que mon rejet de l'autre nuit ne le garde à distance.

La pénombre du couloir, à peine éclairé par les LED du bloc lumineux de l'issue de secours, m'aide à mettre ma pudeur de côté. Je réalise que Charlie m'avait manqué encore plus que ce que je croyais ; je le dévore, l'enlace comme si c'était la dernière fois que je le voyais.

Je suis tellement focalisée sur sa bouche que je ne remarque la présence d'un résident que lorsque la lumière du hall se rallume. Je m'écarte brusquement, Charlie laisse s'échapper un gloussement, et je fixe le logo de sa parka jusqu'à ce que le nouveau venu, qui n'est autre que mon voisin, disparaisse dans l'ascenseur.

Une fois seuls, je me penche, ou plutôt me jette sur lui, mais celui-ci me retient par les épaules.

— Je vais y aller.

Sauf que je n'ai aucune envie qu'il me quitte et que j'aurais pu lui rouler des pelles dans le noir encore une éternité.

À mon probable air dégouté, il sourit et ébouriffe mes cheveux d'une main, comme si j'avais sept ans.

— À demain, Pauline.

Et il me plante là.

***

Pour ma dernière matinée de révision et dernier jour de vacances, la pression aura finalement agi, et j'aurais été plus efficace qu'en deux semaines de bourrage de crâne. À moins que la perspective de me gaver de crêpes chez Charlie jusqu'à l'indigestion ne m'ait motivée à atteindre plus vite l'objectif fixé.

Je pensais m'habiller avec mes plus jolis vêtements, comme chaque fois que je vois Charlie, mais le temps neigeux et venteux m'en dissuade. Mon sweat à capuche rouge me sera bien plus profitable qu'un de mes petits pulls à grosses mailles qui laissent passer le froid.

Quand j'arrive en bas de l'immeuble, j'appelle Charlie pour qu'il vienne m'ouvrir. Lorsqu'il m'avait annoncé que son interphone ne marchait plus, je ne m'attendais pas en retrouver le bouton complètement arraché, fils apparents. Ni à trouver une inscription marquée au feutre noir sur la porte en bois massif : « Mais où est ce connard de Charlie ? ».

Au bout de quelques instants, il apparait dans l'entrée.

— Salut, Petit Chaperon rouge, dit-il baissant la capuche de mon sweat.

— Coucou, mère-grand. J'ai apporté de la confiture faite maison.

— Méfie-toi, je suis peut-être le grand méchant loup déguisé en vieille.

— Ah.

Il m'adresse son sourire espiègle, me laisse passer puis se dirige vers l'ascenseur.

— Qui a marqué le message sur la porte d'entrée ?

Après un petit tressautement, la cabine commence sa lente ascension jusqu'au septième et dernier étage.

Douce aigreurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant