Narration 3.

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Les heures passèrent. Ils discutaient sans s'arrêter, toute gêne envolée. De temps à autre, ils échangeaient un regard et se souriaient d'une façon nouvelle, avec une bienveillance qu'ils découvraient pour la première fois. Valérian n'avait jamais senti les yeux d'une femme se poser sur lui avec tant de douceur, sans aucune forme d'aversion. Alice n'avait jamais vu de visage plus franc et transparent que celui du jeune homme. La proximité de la nuit, le silence des rues et l'atmosphère tranquille de la ville les firent se rapprocher bien plus rapidement que s'ils s'étaient rencontrés en plein jour. Ce fut un coup de chance pour eux.

Alice contemplait l'horizon en écoutant Valérian lui raconter une anecdote quelconque lorsque son téléphone sonna. Elle fouilla dans son sac et en sortit le petit appareil avec lenteur, s'attendant à l'appel d'un amant regrettant d'avoir refusé un rendez-vous. Elle lut le nom apparu sur l'écran et se figea dans une expression de frayeur.
—Oh, putain, murmura-t-elle. C'est Rich.
—Rich ? interrogea Valérian qui s'était brusquement arrêté de parler face à la peur subite d'Alice.
—Richard, mon mari !
—Attends... Tu es mariée ?!
—Mais évidemment ! Oh, bordel de bordel... Salut, mon cœur ! fit-elle d'un ton tout à fait différent, plus doux, faussement posé.

La voix du mari était si forte, si empreinte de colère, que même Valérian pût l'entendre distinctement.
—Où es-tu, Alice ?
Comme elle ne disait rien, il ajouta en haussant le ton :
—Réponds moi, merde !
—Je... Je suis en promenade, j'allais rentrer bientôt... Je m'ennuyais toute seule à l'appart' alors...
—Ne te fous pas de ma gueule, Alice. Ça fait des semaines que j'ai compris ton petit jeu. Je ne disais rien, j'attendais d'en être sûr, ce soir c'était ton ultime chance. Pour la dernière fois, où es-tu ?
—Rich, ce n'est pas ce que tu...
—Ne me prends pas pour un con Alice ! Ça fait des mois que ça dure, je le sais bien ! Alors écoutes-moi, tu vas me dire où tu es, je vais venir te chercher et on va  « discuter » de tout ça à la maison. Et crois-moi, c'était la dernière fois que tu foutais un pieds dehors, la putain. Alors ? Parle, merde !

Son sang s'était comme glacé dans ses veines. Étrangement, elle n'avait jamais songé à l'éventualité que Rich ne découvre la vérité. Elle vivait chaque jour comme la suite d'une morne routine, et tromper son mari en faisait partie depuis bien trop longtemps pour qu'elle pense que cela prendrait fin, de façon consentie ou non. Elle était terrorisée. Rich et elle s'étaient déjà disputés plusieurs fois au cours de leur vie de couple. Elle l'avait vu se mettre en colère au point d'envoyer valser assiettes et verres en travers du salon au cours d'un simple dîner. Il avait le sang chaud et ne supportait pas que les choses se passent différemment de la manière dont il les prévoyait.

Mais jamais, malgré toutes les crises qu'ils avaient affrontés ensembles, il ne lui avait parlé ainsi. Il ne fallait pas qu'il lui tombe dessus. Sinon, elle le sentait, c'en serait fini d'elle. Elle tremblait de peur, mais elle avait également compris quelque chose ce soir. Valérian lui avait apprit à quel point sa vie était dénuée de sens et elle était épuisée de cela. Elle s'était voilée la face pendant trop longtemps et elle décida qu'il fallait enfin y mettre un terme.

Elle s'agrippa à son mobile jusqu'à en faire blanchir ses phalanges et parla d'un ton très calme, beaucoup plus assuré qu'elle ne l'était en réalité :
—Non, Rich, c'est toi qui va m'écouter. Tu ne m'as pas rendu heureuse un seul jour depuis que l'on s'est rencontré. Je ne sais même pas pourquoi on s'est marié toi et moi. On a jamais réussit à s'entendre, au fond. Alors, tu sais quoi ? Je crois que je ne rentrerai pas à la maison ce soir. Ni les autres soirs.
—Qu'est-ce que tu racontes ? Tu délires complètement !
—Je suis on ne peut plus sérieuse. Ça n'a jamais vraiment marché entre nous, soyons honnête. Il vaut mieux en rester là.
—C'est le mec chez qui tu es, c'est ça ? Tu penses qu'il vaut mieux que moi ? Mais crois-moi, Alice, personne au monde ne supporterait de baiser deux jours de suite une catin pareille !
—Je pense que j'en ai assez entendu. Au revoir, Richard.

Elle entendit un bruit de vase qui se brisait violemment sur le sol. Voilà qu'il recommençait à tout casser. Elle n'osa pas imaginer dans quel état désastreux elle retrouverait son appartement, si elle y remettait les pieds un jour. Elle s'apprêtait à raccrocher lorsqu'elle l'entendit souffler, de l'autre côté du téléphone :
—Je vais te retrouver, Alice. Je vais te retrouver et je te taillerai en pièces !
Et il raccrocha brusquement, la laissant seule dans le silence et le froid glacial de la nuit.

Val'se hivernale.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant