Narration 7.

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Ils furent tirés de leur sommeil moins de deux heures plus tard, aux alentours de cinq heures du matin, par une voiture dérapant bruyamment sur les graviers. Valérian fut le premier debout, tous les sens en alerte.
—On dirait que quelqu'un vient. On ne devrait pas rester ici...
Alice étant encore à moitié endormie, il lui prit la main et l'aida à se lever. Il entendit des bruits de pas en direction de la grange. Merde, s'agissait-il d'un propriétaire insoupçonné ? Quoi qu'il en soit, ils ne pouvaient pas sortir par la porte principale.

Il attira rapidement Alice derrière l'immense tas de foin dans lequel ils s'étaient endormis un peu plus tôt, avec à présent pour idée de s'y cacher en attendant que le nouvel arrivant s'en aille. Ils venaient à peine de s'accroupir là que la porte de la grange s'ouvrit à la volée. Ils entendirent des bruits de pas furieux se déplacer et faire le tour de la grange, puis une voix puissante et pleine de colère s'éleva :
—Alice ! Je sais que tu es là ! Sors, ne perdons pas plus de temps !
La jeune femme crut qu'elle allait s'évanouir. C'était la voix de Richard.

Valérian comprit de quoi il en retournait en jetant un bref coup d'œil à Alice. Elle s'était figée, la bouche entre-ouverte, tremblante, dans une expression de peur terrible. Il ne comprenait pas. Comment le mari pouvait-il être ici ? Comment...? « Ce n'est pas le moment de penser à ça, imbécile ! Trouve plutôt un moyen de vous sortir de là ! ». Il se prit la tête entre les mains, tenta de réfléchir à une issue, mais il ne trouva rien, la peur s'infiltrait en lui et semblait lui paralyser l'esprit. Il se détesta soudain de n'avoir jamais fait partie du camp des courageux.

Il se serait giflé lui-même, s'il n'avait pas eu aussi peur que le bruit n'attire Richard dans leur direction. Il l'entendait fouiller un peu partout et pester de ne pas les trouver. Combien de temps encore avant qu'il ne les découvre ? Combien de temps encore avant qu'il ne les tue comme il l'avait promit ? Combien de temps encore...? Il sentit une larme couler le long de sa joue. Voilà qu'il pleurait à présent ! Un vrai bébé. Oh, comme il se haïssait en cet instant ! « Pardonnes moi Alice, si tu avais été avec un autre ce soir, il aurait sûrement pu te protéger ». Il sentit soudain quelque chose tirer sur son bras et manqua de pousser un long cri de terreur avant de voir que ce n'était qu'Alice. Elle lui fit signe de se taire et lui intima silencieusement de le suivre.

Ils se déplacèrent de quelques mètres sur leur gauche, toujours accroupis, et elle lui montra leur porte de sortie. Deux planches de la grange qui, abîmées par les années, avaient finis par céder et se briser, libérant un espace suffisamment large pour qu'ils s'y faufilent. Ils y virent leur unique chance de salut. Alice s'y engouffra la première, bientôt imitée par Valérian. Ils se retrouvèrent dehors, dans les pâles rayons de soleil qui pointaient au loin, encore tout tremblants de peur.
—Où on va, maintenant ?
—Je ne sais pas... Je... je ne comprends pas. Pardon, Val', mais je ne sais plus quoi faire.
Elle tomba à genoux, les yeux rivés sur le sol, l'air vide et éteint. Il comprit qu'elle craquait comme lui auparavant.

Il ne voulait pas mourir. Il était terrifié à l'idée de bouger de là et de s'exposer, mais le danger était encore trop proche pour qu'il abandonne et se laisse aller. Elle les avait sauvé de la grange, il fallait à présent qu'il s'occupe de les éloigner du mari. Il avait toujours peur, évidemment, mais Alice lui avait offert quelque chose de nouveau et de précieux, la rage de vivre. À présent, il comptait bien défendre sa peau jusqu'au bout. Il lui prit la main, l'aida à se relever et la serra fort contre lui. Leur étreinte fut courte, mais empreinte d'une émotion profonde qui n'avait pas besoin de beaucoup de temps pour s'exprimer pleinement. Il s'écarta un peu d'elle, mais la tenant toujours contre lui, il regarda autour d'eux en réfléchissant. Il eut finalement une idée.

—Bon, tu vois la forêt là bas ? On va aller se planquer dedans. On a que trois cent mètres à faire en courant, à peu près, une fois à l'intérieur on marchera en cherchant un arbre, un buisson ou un je-sais-pas-quoi qui pourrait servir de cachette et on appellera la police. Ça te va ?
Elle hocha la tête. Même si elle n'avait pas voulu, avait-on connu de plus mauvaise situation pour un désaccord ? Elle tremblait, regardant le sol et se mordant la lèvre pour ne pas pleurer. Il lui releva la tête et la regarda droit dans les yeux :
—Ça va aller, ok ? Je te promets que je le laisserai pas te tuer. Je te le promets.
Il aurait eu beau le répéter une dizaine de fois encore, y aurait-il cru lui-même un peu plus ? Tant pis, cela avait suffit à leur redonner un peu de courage.

Ils s'élancèrent donc, le plus rapidement qu'ils purent. Valérian était plutôt bon coureur, mais il avait omis deux détails qui changèrent totalement la donne : ils couraient sur des fichus graviers et Alice portait des talons hauts, ce qui entravait sa course et manquait de la faire tomber à chaque pas. Ils faisaient un boucan de tous les diables et cela ne manqua pas : le mari les entendit. Ils ne s'arrêtèrent pas pour autant, courant comme ils n'avaient jamais couru de toute leur existence, mais ce ne fut pas suffisant. Richard sortit en trombe de la grange et s'élança à leur suite en poussant un cri bestial. Valérian aurait pu le fuir aisément, il avait prit assez d'avance pour cela, mais Alice peinait à l'arrière pour simplement tenir debout et elle finit par trébucher fatalement.

Richard la rejoignit rapidement, un sourire de dément accroché aux lèvres. Valérian courait toujours, à environ cent mètres de là, mais il entendit malgré tout le hurlement de terreur d'Alice. Il s'arrêta, hésitant. Avait-il la moindre chance de la tirer de là ? Ne valait-il pas mieux essayer de se sauver lui en priorité ? Mais... Il avait promis. Merde ! Il ne savait pas quoi faire. Soudain, il vit Richard brandir quelque chose. Il plissa les yeux. Oh, Seigneur. Un couteau de cuisine épais comme son bras. À cet instant, tout instinct de survie le quitta, remplacé par l'unique désir d'arrêter cet homme et de sauver Alice. Courant à sa perte, il s'élança dans la direction opposée de son but initial.

Val'se hivernale.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant