Narration 4.

92 29 21
                                    

Elle se laissa tomber à genoux, le visage entre les mains, la respiration lourde. La menace de Rich résonnait en boucle dans sa tête. « Je vais te retrouver et je te taillerai en pièces ». Elle trembla de tous ses membres. Aurait-il réellement le courage de passer à l'action ? Elle fut effrayée de n'avoir aucune idée de la réponse. Elle cru un instant qu'elle allait se mettre à pleurer. Fondre en larmes comme lorsqu'elle était enfant, se rouler en boule au fond de son lit et serrer fort contre elle sa peluche en lui confiant ses peines. Où était donc Teddy Bear ? Elle se demanda pour la première fois où était passé son précieux doudou. Il s'était sans doute fait la malle en même temps que son innocence et ses rêves d'enfant. Comme tous les autres quand elle avait besoin d'eux. Ah, le salaud.

Une voix la tira des abysses de ses sombres pensées :
-Tout va bien ?
Valérian. Cette simple phrase la ramena brusquement à la réalité. Elle leva la tête vers lui et sourit lentement. Elle voulut le remercier de l'avoir remontée avant qu'elle ne tombe plus profondément encore à l'intérieur d'elle-même. Tous les autres étaient des lâches, mais lui était là, ici et maintenant. Ils étaient ensembles, deux êtres éperdus dans la nuit noire, se soutenant l'un l'autre. C'était tout ce qui comptait.
-Oui... Je crois que ça va.
-Tu pense qu'il... ? ne pût finir Valérian.
-Je ne sais pas... Non. Il ne tentera rien. Il va s'énerver tout seul à la maison et puis il se calmera et comprendra comme moi que c'est mieux ainsi.
-On devrait peut être appeler la police, tu ne crois pas ?

Elle secoua fermement la tête, rejetant l'idée du même mouvement. Elle ne voulait pas passer la nuit au poste, à expliquer à de vieux cons de flics qu'elle avait peur que son mari ne la tue car elle l'avait trompé des dizaines de fois. Lui riraient-ils au nez ? « Vous l'avez bien cherché, ma p'tite dame ! ». Elle les entendait d'ici, leurs remarques humiliantes. Elle ne voulait pas vivre ça ailleurs que dans sa tête, sans doute car elle savait qu'un fond de vérité se cacherait dans ces paroles.

Mais Valérian avait raison. Il aurait été plus sage de confier sa sécurité à des personnes hautement plus compétentes qu'elle-même et l'adolescent frêle se tenant à ses côtés. Elle changea sa peur de la honte en conviction que Richard ne ferait rien. Un psychanalyste se serait sans doute profondément amusé à dépeindre le caractère d'Alice et sa capacité à se persuader de choses sans aucun fondement pour échapper à ses peurs les plus profondes. Mais le destin n'avait pas de psychanalyste sous la main pour agrémenter cette folle soirée.

À la place, Valérian aurait sans doute dû insister un peu plus pour prévenir la police. Il aurait sûrement finit par convaincre Alice d'agir sagement. Mais il n'était qu'un enfant, après tout, et il n'osa pas contredire la jeune femme. En outre, pensant de plus en plus qu'elle était éloignée de tout danger, Alice retrouvait son air joyeux et sa nonchalance habituels. Valérian ne voulut pas briser cette joie précaire, il aimait déjà beaucoup trop la voir sourire.

Elle reprit donc leur marche, le sourire aux lèvres, en sifflotant. Valérian chercha un moment quelle chanson jouait Alice avant de conclure qu'elle venait probablement de l'inventer. Il se joignit à elle, timidement d'abord, puis il gagna en assurance. Ils finirent par taper en rythme dans leur main et ajouter des paroles à leur petit morceau, des mots sans véritable sens les uns avec les autres, mais qui sonnait bien ensemble. Sans en avoir véritablement conscience, ils venaient en quelque sorte de créé la chanson de leur relation. Ils s'arrêtèrent, à bout de souffle, lorsqu'un petit vieux ouvrit sa fenêtre juste au dessus d'eux et leur conseilla « d'aller faire les zouaves ailleurs s'ils ne voulaient pas se prendre un coup de carabine au cul, non de non ».

Ils ne se le firent pas dire deux fois et prirent la fuite en courant, amusée pour l'une, effrayé pour l'autre. Leur course folle les mena finalement près de l'autoroute bordant leur ville.
-Eh, fit Alice, si on faisait du stop ?
Valérian ne répondit pas tout de suite. Il respirait l'air à grandes goulées, les mains sur les hanches, courbé en deux.
-Du... stop ? interrogea-t-il, haletant.
-Oui, je n'ai pas souvent l'occasion de sortir d'ici ! Tu n'as pas envie de visiter un peu plus loin ?
-Si mais...
« J'ai école demain », voilà ce qu'il s'apprêtait à répondre. Seulement, l'école, ça n'était pas prévu qu'il y retourne, quelques heures plus tôt. Il se rendit compte soudain que tout ce qu'il vivait à présent n'était que du bonus qu'Alice lui avait gracieusement offert.

Il voulut lui sauter dans les bras et la remercier pendant des heures. Mourir... Quel idiot il avait été ! Le voulait-il réellement, au fond ? Il avait changé d'avis si vite, et se rendait bien compte à présent que ça n'était pas la solution. Il conclut qu'il avait simplement eu besoin de l'aide de quelqu'un pour le voir, quelqu'un comme Alice. Il l'en remercia silencieusement. Il ne pouvait pas lui bondir au cou pour le lui dire, c'aurait été bien trop embarrassant, même si l'envie ne manquait pas. Il ne voulait pas vraiment quitter la ville, mais accepta pour lui faire plaisir.
-D'accord, faisons donc ça !
Le sourire habituel d'Alice s'élargit. La rendit-il heureuse ? Il ne savait pas. Il aimait juste la voir ainsi. C'était suffisant pour le moment.

Val'se hivernale.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant