Chapitre IV

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B O R D E R L I N E. 

Chapitre IV.

Cela faisait maintenant une semaine que j'étais arrivée au sein de l'internat. Ces sept derniers jours furent pour le moindre reposant. Aucune engueulade, aucune bataille, rien ; simplement le son apaisant du silence. J'étais abandonnée à moi-même, mes choix restant mes choix, sans cri ni haine.

Entre-temps, j'eus le temps de visiter entièrement les lieux, de trouver mes repères, de me forger une mémoire stable concernant l'endroit.

Les autres prisonniers, si je peux les appeler ainsi, n'ont pas l'air aussi bizarres que l'on en laisse présager à l'extérieur de l'enceinte. Ils sont simples, peinards, et, surtout, ils se mêlent de leurs affaires, eux au moins.

Si l'établissement ne s'identifiait pas comme étant un endroit pour les jeunes ayant des troubles mentaux, je crois que je l'aurais plutôt classé comme étant un centre pour faire de nouvelles rencontres avec les jeunes de mon âge venant des quatre coins du pays.

Sérieusement, je me plais ici. Ma nouvelle vie n'est pas aussi trépidante que je me l'imaginais au départ, mais il faut tout de même prendre conscience que je suis arrivée ici depuis peu.

Toutefois, tous les individus sont liés à un tuteur ou une tutrice, dépendamment du sexe que nous sommes. Puisque je suis une fille, j'ai une tutrice femme, certes.

Les tuteurs sont présents lorsque nous avons besoin de nous confier, lorsque nous avons envie de nous extérioriser de notre petite bulle étouffante. Ils sont aussi là pour nous épauler tout au long de notre sentence.

Ma tutrice se nomme Eleanor. Elle est jeune, simple, gentille... Elle pourrait presque être ma grande sœur. C'est la seule avec qui je me suis forgé d'amitié pour le moment. J'ai l'impression qu'elle me comprend à merveille. Elle a peut-être cinq ans d'écart avec mon âge, mais son rôle de tutrice m'importe peu. J'ai pleinement confiance en elle.

Demain, Eleanor aimerait me présenter quelqu'un avec qui je pourrais possiblement devenir amie. Elle veut absolument que je rencontre cette personne, car elle a peur que je perde mon désir d'avoir des contacts humains avec toutes autres personnes qu'elle-même. Bien évidemment, j'ai accepté, mais disons que je ne suis pas prête pour d'autres rencontres.

Déjà que j'ai celle-ci, la directrice de l'établissement, le gardien qui surveille ma cellule, l'infirmière, la psychologue, et toutes les autres personnes spécialisées dans une médecine quelconque à côtoyer obligatoirement, je ne crois pas manquer de soutien humain, mais bon.

Je suis un peu stressée de voir à quoi cette personne peut ressembler. Est-ce une fille ? Est-ce un garçon ? Eleanor ne voulait pas me le dire, elle voulait « garder le suspens » pour demain. J'assume que ce n'est qu'une simple rencontre, rien de plus, rien de moins, mais à vrai dire, je ne sais pas comment me faire des amis. Je n'en ai pas vraiment eu dans mon enfance parce que j'étais toujours seule dans mon coin, mais c'est un détail. 

J'étais tombée sur Faith par simple hasard ; elle faisait partie des nombreuses anciennes amies de ma sœur.

Sinon, il n'y a pas d'autres personnes qui me remontent en tête.

Mon passé est flou. C'est comme si on m'avait effacé la mémoire pour ne pas que je me rappelle de quelque chose.

Oui, d'accord, vous allez sûrement me prendre réellement pour une folle, comme le reste de la population humaine quoi, mais je suis tout à fait certaine qu'il y a une chose... cette chose que je dois résoudre. Une chose à laquelle personne ne s'attend, mais quand elle finira par refaire surface, ce sera terrible...

Bordel ! Je ne vois rien dans ma tête.

Si ça se trouve, si je savais pour le moindre l'existence de ce qui me tracasse, je ne serais pas ici en ce moment.

Un jour ou l'autre, je finirai bien par m'en souvenir.. M'enfin, je l'espère bien, car je n'en peux plus de vivre dans le mensonge.

[...]

« Avery, il est midi ! chantonna Eleanor, se trouvant derrière ma porte de chambre.

- Et quel est le menu d'aujourd'hui ? souris-je en tirant délicatement la petite poignée argentée.

- Laitue aux suprêmes d'oranges avec un plat de lasagnes ! »

Hm, tout ça m'a l'air bien plus alléchant que le ragoût de mouton d'hier midi.

« Je prends mon sac et j'arrive ! lançai-je, le cherchant du regard dans l'immensité de ma cellule.

- Dépêche-toi si tu ne veux pas avoir les restes de lasagnes brûlées ! »

Aussitôt dit, je sortis de ma taverne et marchais joyeusement vers les escaliers. 

Nous descendîmes du troisième étage jusqu'au deuxième, là où est la cafétéria, et nous prîmes place dans la file d'attente pour recevoir notre plateau-repas.

Habituellement, les tuteurs ont le droit de s'éclipser pour aller manger hors de l'établissement, mais Eleanor dit que c'est plus respectueux de prendre ce que nous sommes contrés de manger, nous, les... bizarroïdes.

Nous arrivâmes finalement au comptoir des lasagnes et attendîmes notre tour pour être servies par les cuisinières.

Nous prîmes finalement place à une petite table ronde dans le fond de la salle, éloignée des autres.

« Alors, quels sont tes projets pour la journée ? me demanda Eleanor.

- Rien pour le moment.

- N'aimerais-tu pas rencontrer la personne que je veux te présenter aujourd'hui, au lieu de demain, puisque tu n'as rien de prévu ? »

Je la regardai, perplexe.

« Eh bien... »

Elle me regardait avec des yeux voulant dire « allez, s'il te plaît ! ».

« D'accord... »

Elle sourit de pleines dents avant de fourrer une grande bouchée de lasagnes dans sa bouche.

« Dis, commença-t-elle de nouveau, pourquoi n'es-tu pas venue au petit-déjeuner ce matin ?

- Je ne me sentais pas très bien et je n'avais pas vraiment faim. »

À croire que le ragoût d'hier m'avait donner un haut-le-cœur.

Elle hocha la tête et nous finîmes notre déjeuner à bavarder de tout et de rien concernant l'internat.

Quelques minutes après être remontée dans ma chambre accompagnée de ma tutrice, celle-ci m'entraîna aussitôt là où je n'avais pas encore mis les pieds : le côté Est des cellules, soit le côté des garçons.

« C'est donc un gars ? 

- Très bonne déduction, mademoiselle la détective. »

Nous traversâmes des portes grillagées, de longs couloirs sombres, des postes de gardiens, puis nous arrivâmes finalement aux cellules des garçons.

Eleanor s'arrêta devant la porte E286, signifiant : « côté Est, chambre 286 », et toqua.

Celle-ci s'entrouvrit et lorsque j'aperçus cette fameuse personne, j'en restai ébahi.

« Harry, voici Avery, dit Eleanor. »

Borderline |h.s.|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant