Chapitre IV

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On a l'air de deux cons. Genre puissance dix mille. Lauren et moi-même, debout, derrière nos chaises, à attendre que Madame L'inspectrice Des Travaux Finis alias notre mère nous ordonne de prendre place.

- Ta chemise. Dans ton bas.

L'ordre fêlé brise le lourd silence et mon frère remet son haut correctement. Pour une fois qu'il semble avoir une tenue correcte, elle exagère. Exceptionnellement, Lauren est habillé d'une chemise noire et d'un slim blanc. Entre nous, je crois qu'une fille lui plaît ! Mais ça, c'est une autre histoire.

- Relève la tête et tient toi droite.

Celui-là, il est pour moi. Oui votre majesté je vais bomber le torse comme un gorille, m'exclamai-je dans ma tête de ma voix de chanteuse d'opéra.

-Assied.

Et le s'il vous plaît dont vous nous avez tant rabachés les oreilles ? Je retiens mon soufflement au bord de mes lèvres et prends place sur la chaise à mon nom.

La modestie est une caractéristique première chez nous. Il faut le voir pour y croire ! Tout, mais alors absolument chaque chose est marquée au nom de la personne à qui elle appartient. Le verre, l'assiette, la chaise, le sac, la chambre... Tu sais au cas ou on oublie... Mes parents doivent sûrement avoir des objets vaudou contre l'Alzahlmer, j'ai trouvé leur secret !

Pas un mot, pas un bruit ne trouble l'atmosphère pesante du dîner et si nous étions en été, et bien, on entendrait clairement les mouches voler.

Emmaline, notre conchita, dépose les assiettes ornées de cloches devant nous. Mon frère et moi n'avons plus cinq ans et heureusement, parce qu'à chaque repas, nous faisions le concours de celui qui arriverait à soulever la cloche sans se faire prendre ! C'était drôle... Surtout quand Lauren se faisait taper sur les doigts. Avec une règle en bois évidement !

- Bon appétit. S'exprime enfin mon père de sa voix rauque.

Et oh ! Mon dieu, des choux de Bruxelles, on saute de joie !

- Lauren. Tu as fumé aujourd'hui, tu es donc interdit de sortie, interdit de musique, et interdit de livres. Récapitule ma mère de sa voix nacillarde.

R.I.P mon frère, je t'aimais bien.

- Maman je suis en L, je ne peux pas ne plus lire ! S'écrit mon frère.

Ooooouh grossière erreur jeune homme, dites-moi Sherlock Holmes, il est foutu n'est-ce pas ? Oui, docteur Winston, je peux même vous annoncer que l'heure du décès est 19h32.

- Ne me parle pas sur ce ton Lauren Edward Pierrot Epsom ! Je ne veux plus jamais te voir avec une cigarette au bec !

Qui sait qui va récupérer le paquet ? Et bien pas moi. Probablement Gigi, ouais ça lui fera plaisir. Il ne fume pas énormément, mais il ne cracherait pas sur un paquet de cigarettes gratuit ! Lui, si pauvre à cause -coup de tambour, Salto arrière, bras ouvert, et voix de ténor- De la bouffe !

- Pardonnez-moi mère.

Eh mais tu es sérieux ? Ça va être mon tour maintenant ! Sale traître.

- Tes cours se sont bien passés Lysandra ?

Je vous l'avais dit que se serai mon tour ! Comment on ment déjà? Ah oui, en détournant la conversation !

- Personne ne m'appelle plus Lysandra depuis que j'ai dix ans... Pas même mes profs ! répondis-je en soufflant.

- Ne souffle pas. Monsieur Boute-en-train nous a téléphoné cet après-midi. Tu as été insolente ! Je peux savoir depuis quand une Epsom est insolente ? Questionne-t-elle en faisant la grimace sur les derniers mots.

Insolente depuis quand ? Depuis qu'on m'a mise au monde en me disant que tout ce que je dirais serai mauvais ou considéré comme blague, franchement peut-être. Mais clairement, ce matin, je n'ai pas été méprisante j'ai confirmé ces paroles, nuance. C'est d'ailleurs ce que je répète à ma mère qui sort de ses gonds.

- AU VU DE TA MOYENNE EN ALLEMAND, JE NE FERAI PAS LA MALIGNE À TA PLACE.

- Au vu du prof qu'on a je vais pas faire de progrès. Ton Monsieur MoiJe, dès qu'Elisabeth lui parle dans cette magnifique langue où tu atchoum à chaque mot, il reste comme deux ronds de flanc au soleil.

- Qui est-ce que tu mattes ? Demande t'elle soudainement, d'une voix qui, de première abord semble calme, mais dans laquelle on sent franchement de l'amertume et... Une pointe de dégoût. Cette chose qui te distrait, quel est son nom que j'aille porter plainte pour harcèlement et contamination de maladie ! S'emporte-t-elle brutalement. C'est cette Elisabeth dont tu aimes tant nous parler qui te rend... Dégoûtante ?

- Parce que tu crois vraiment que je n'écoute pas en Allemand pour une fille maman ? Et qu'elle me contamine, et que c'est pour ça que je suis attiré par les boobs et les vagins ? Et qu'en prime c'est mon escl... Ma meilleure AMIE ? M'exclamai-je, soudainement bien énervée par tant de conneries. Mais c'est de pire en pire ta psychose !

- DÉGAGE DE LA !

Son hurlement me percute de plein fouet. Elle ne me vire pas seulement de table. Elle vire qui je suis. Elle me dénigre en refusant de m'écouter. Elle m'évince pour laisser la place à son modèle de sainteté. Mais je ne suis pas cet enfant là.

Je m'appelle Lysandra Emma Aline Epsom, et je n'en changerai pas.

Point de vue interne, deux ans plus tard.

C'est ce soir-là que tout a basculé. Si nous avions su, peut-être aurions nous pu l'aider. Mais elle s'est enfermée dans un mutisme dévastateur. Et nous, sa bande d'amis. Ses seuls amis. Nous n'avons rien vu. J'aurai voulu l'aider. Elle était toujours là pour nous. Aujourd'hui, si j'avais un mot à lui dire, c'est pardon. Pardon de ne pas avoir compris pourquoi tu t'es soudainement éloignée de nous, pourquoi tu t'es soudainement éloignée de moi.

//951 mots.

Ce n'est qu'un au revoir.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant