Naissance

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Dès sa naissance, les médecins ont compris que Martinus n'était pas un enfant comme les autres. Hormis le nom étrange que ses parents lui avaient donné, un élément singulier le démarqua immédiatement : il avait pleuré en sortant du ventre de sa mère.

Les médecins s'étaient alors échangé un regard lourd de sens : quelque chose cloche avec ce gosse.

« Nous allons prendre votre enfant le temps nécessaire à quelques analyses »

Ses parents ne furent même pas surpris quand le personnel médical emmena l'enfant.

Si sa mémoire lui permettait de remonter jusque-là, Martinus se souviendrait avoir été enfermé dans une pièce étroite, blanche du sol au plafond, avec une lumière intense, quasi-insupportable, venant d'en haut. Les médecins et sages-femmes s'affairaient autour de lui, mais coincé dans son espèce de couveuse, il ne pouvait qu'entendre le brouhaha général. Inhabituel.... Anormal.... Du jamais vu depuis des siècles... Douleur.... Comment était-ce possible ? Seules des bribes incompréhensibles perdues au milieu des bruits d'outils chirurgicaux et d'autres machines lui parvenaient. La tête d'un homme, cachée derrière une lampe et un masque de protection, apparut bientôt au-dessus de lui. Donnez-moi le laser à haute-précision. L'homme saisit l'objet qu'on lui tendit et l'activa. Un fin faisceau lumineux pareil à une pointe sortant de son stylo apparut. Au contact du laser et de sa peau, l'enfant se remit à crier et à hurler. C'est impensable... Il semblerait qu'il puisse ressentir la brûlure du laser ! ... Cela ne se peut.... Donnez-moi le scalpel. Les cris s'accentuèrent alors que des gouttes de sang perlaient du bras du nourrisson. Je ne comprends pas... il ressent les fortes douleurs mais aussi les moindres, ainsi, semble-t-il, que le chaud et le froid. Se pourrait-il... ? Le nouveau-né plaça ses mains devant son visage comme pour se protéger du souffle chaud et odorant du médecin. Celui-ci laissa tomber son masque, consterné. Il ressent même l'air sur sa peau... Un silence pesant s'installa.

***

Quand les parents rentrèrent dans le bureau du médecin, leurs doutes furent confirmés au visage de celui-ci.

« Asseyez-vous »

Ils s'assirent.

« Votre enfant souffre d'une pathologie inimaginable à notre époque, une anomalie qui, bien que monnaie courante il y a très longtemps, n'est plus réapparue depuis plusieurs centaines d'années. En effet, d'une manière dont nous ne pouvons en déterminer la cause, il s'avère que votre enfant ressent les choses. Il semble ressentir la chaleur, le froid, la douleur, même l'air sur sa peau et d'une manière encore plus surprenante et inexplicable, il semble aussi ressentir ce que l'on appelait avant des émotions »

Le visage des parents de l'enfant restait de marbre.

« Des émotions ? »

« Des émotions. C'est une notion abstraite et donc compliquée à expliquer. C'est un peu comme si, au-devant de certaines conditions, son corps réagissait au plus profond de lui, de l'intérieur, et ce bien-sûr malgré lui. Imaginez par exemple, qu'il se retrouve dans une situation qui met en péril son bien-être ou son existence, alors il ressentira une émotion : la peur. Une espèce d'instinct de survit qui résonnera dans son corps entier. Au contraire, si un événement s'avère favorable, alors il pourra ressentir une émotion inverse de la peur : la joie. Il en existe encore quelques autres, que je ne saurai vous décrire comme il se doit.

« J'avoue avoir du mal à comprendre » dit le père.

« Eh bien, il est vrai que c'est une notion extrêmement floue et censée, comme je vous l'ai dit, être disparue. Cela ne devrait, normalement, pas nuire en tant que tel à la santé de votre enfant. Toutefois, je vous invite à revenir me voir une fois que votre fils aura grandit un peu. Il se peut en effet, que son handicap s'aggrave dans le futur, et que les émotions laissent place à des éléments encore plus subtils... »

« Des sentiments... » murmura la mère en même temps que le médecin finissait sa phrase.

Elle regarda, dans le landau posé le long d'un mur du bureau, son fils en train de dormir. L'inquiétude indissociable de l'amour maternel la saisit. La douleur, les émotions, les sentiments, et autre, elle ne les connaissait que trop bien. Elle-même, dans le plus grand des secrets, en ressentait. Et elle venait de transmettre son fléau à son fils. 

Le FardeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant