Petite enfance

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Martinus était seul. Comme toujours. Il était perdu dans un coin du dôme à température autorégulatrice de la cour de récréation de son école. Assis dans ce qui ressemblait à s'y méprendre à une position fœtale, il observait, de l'autre côté, les autres enfants.

Tous étaient assis en ligne qui formaient des droites parfaites, immobiles, le dos bien droit, et le regard fixé sur chacun de leurs écrans personnalisés. Ils consacraient en effet le temps de la récréation à regarder des documentaires sur la géographie, l'économie, les mathématiques, etc. Au plus grand détriment de Martinus. Il aurait tellement aimé profiter de ces moments de libre pour courir de partout, s'amuser, libérer cette énergie qu'il se devait de maintenir prisonnière pendant les heures de classes. Mais il était le seul à ressentir cette envie, ce besoin d'évasion. Tout comme il était le seul à souffrir de sa solitude, et même à souffrir tout court.

Il n'était pas comme tout le monde, et il l'avait compris très vite. Alors que les autres enfants avaient mis très peu de temps pour apprendre à parler, lui avait dû surenchérir d'efforts pour ne serait-ce que maitriser les bases du langage. Il sentait qu'il y avait quelque chose en lui qui n'allait pas quand il voyait le regard des grandes personnes ou même de son papa.

Tu es différent

Cette différence dont il n'arrivait pas à comprendre l'origine, bien que le faisant beaucoup réfléchir pour son très jeune âge, ne lui causait cependant pas plus de tort que cela. Les autres enfants apprenaient plus vite. Et alors ? Les grandes personnes le regardaient d'une manière étrange. Et alors ?

Mais son premier jour d'école, le calvaire commença. A vrai dire, tout changea pour lui dès les premiers instants. Alors que les parents, qui avaient amené leurs enfants, s'en allaient, Martinus fut le seul d'entre tous à pleurer, refusant de quitter les siens et s'accrochant désespérément à eux. Il sentit de nouveau ces regards aiguisés comme des lames transpercer chaque molécule et chaque atome de son corps. A ceci près que cette fois, les enfants s'étaient joins aux adultes devant ce spectacle des plus atypiques. Et l'enfer dura toute la journée, alors que personne ne semblait vouloir devenir ami avec lui et que dès lors, la cour de récréation devint un espace ou le temps ne semblait avoir aucune emprise, les secondes étant des minutes et les minutes des heures.

Tu es différent

Son mal-être continuait jusqu'à chez lui. Les questions qu'il se posait alors se firent de plus en plus pesantes. Comment ? Comment cela se faisait-il qu'il semblait être le seul à ressentir les choses ? Pourquoi ? Pourquoi avait-il ce handicap ? Est-ce que cela allait un jour cesser ? Pouvait-il encore espérer redevenir normal ? Ses inquiétudes étaient telles qu'il lui arrivait parfois d'en avoir mal au ventre. Car pour couronner le tout, il ressentait aussi la douleur ! Lui, qui avait vu un enfant de son âge se sectionner par accident un doigt sans broncher, était plié en deux par des maux qui semblaient venir de son estomac ! Aussi préférait-il ne rien dire, de peur de passer encore plus pour un être à part, et il se contentait de serrer les dents quand les douleurs se faisaient intenses.

Tu es différent

Martinus eu toutefois beau y mettre tous les efforts du monde, il ne put retenir le rictus et les larmes qui s'en suivirent après s'être coupé un peu le doigt lors d'un repas du soir. Le léger filet de sang l'impressionna, et une peur sans nom le saisit. Son père observait la scène d'un regard vide. Et c'est avec un tout pareil manque d'émotions qu'il gifla son fils. Tu n'es qu'une erreur. C'est alors qu'il les vit. Tu n'es qu'une erreur. Alors que raisonnait encore la voix de son père dans son esprit, Martinus les vit : des larmes vibraient dans le coin des yeux de sa mère qui tentait de les retenir.

Tu es différent

Plus tard dans la soirée, sa mère vint lui parler. Elle lui expliqua alors qu'il n'était pas seul, qu'elle était comme lui, qu'elle aussi ressentait les choses. Elle aussi traversait les mêmes épreuves que lui. Ce sentiment constant d'impuissance et de rejet, cette impression douloureuse de faire partie d'un monde qui n'était pas le leur et ne voulait pas d'eux. Elle su trouver les mots. Ces paroles que seule une mère peut prononcer pour apporter du réconfort à son enfant. Elle dit même qu'au-delà des apparences, cette particularité pouvait en réalité s'avérer être un véritable cadeau du ciel, bien qu'elle n'ait compris cela que trop tard, il y a environ 5 ans. Martinus ne comprit pas les dernières paroles de sa mère et ne voyait pas en quoi vivre dans le malheur était un avantage. Mais il était réconforté. Désormais, il n'était plus tout seul.

Nous sommes différents 

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