Enfance

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Sa mère mourut peu de temps après.

Ce fut un choc indescriptible pour Martinus. Il lui semblait que le monde entier s'éteignait en même temps qu'elle.

Le plus dur avait été de supporter toute la souffrance de sa mère et sa lutte face à la maladie. Il avait beau avoir encore du mal à décrypter les différents alphabets, il n'avait cependant eu aucune difficulté pour lire l'agonie sur le visage de sa mère. Du matin au soir, du soir au matin, à chaque heure, chaque minute, chaque seconde, chaque battement de cœur, c'était une douleur sans nom qui se propageait dans chaque partie de son corps. Les paroles réconfortantes s'étaient peu à peu transformées en hurlements, les caresses en poignes de fer sur les bords du lit, et les regards tendres en pleurs incessants. Alors même que sa vie était devenue un peu plus supportable et agréable en apprenant qu'il n'était pas tout seul, c'était une plongée dans un cauchemar encore plus grand que ce qu'il avait vécu jusqu'alors qui l'attendait en réalité. Sa mère souffrait, et il ne pouvait absolument rien faire. Il était simple spectateur de son déclin. Il restait donc auprès d'elle, du matin au soir et du soir au matin. Son père avait bien tenté de l'obliger à aller à l'école mais avait vite abandonné l'idée en comprenant que c'était cause perdue. Alors Martinus restait là, au bord du lit, ses mains dans celles de sa mère et sa tête sur sa poitrine. Elle n'avait plus la force de parler, mais il sentait qu'il lui apportait du réconfort. Et comment aurait-il pu en être autrement face à l'indifférence générale ? Absolument personne ne se souciait d'elle. Même son père, en rentrant le soir du travail, venait à peine jeter un coup d'œil dans la chambre et s'en allait aussitôt manger devant l'écran 12K, suivit par le regard haineux et empreint de dégout profond de Martinus. Son père ne comprenait pas la situation, et les autres non plus d'ailleurs. Personne ne comprenait. Rien. Ils ne ressentaient ni la douleur ni les émotions, alors comment auraient-ils pu saisir l'enjeu de la situation ? Qu'ils restent là où ils sont, pensait Martinus, nous n'avons pas besoin d'eux. Et c'était vrai, il s'inquiétait et s'occupait d'elle comme même une cinquantaine de personnes n'aurait pu le faire. Son amour à lui la maintenait en vie, et sa présence à elle le rassurait. Mais vint le soir fatidique...

Dès qu'il la vit, il comprit. Sa peau avait perdu toute couleur et était désormais aussi blanche que la sauce d'un kébab de restaurant gastronomique. Et surtout, pour la première fois depuis trop longtemps, elle était calme. Avec un rictus qui devait normalement être un léger sourire, elle avait tendu sa main tremblante vers Martinus. Assieds-toi. Il s'assit, obéissant. Des larmes commençaient à couler le long de ses joues. Pleure. Laisse parler tes émotions. Si tu savais mon chéri, comme je m'en veux aujourd'hui de les avoir cachées toute ma vie... Ca n'est que maintenant, alors que je te regarde, que je comprends enfin : ce fléau comme je le disais, n'en n'est en fait pas un. C'est un cadeau, un don. Je m'en suis toujours voulu de te l'avoir transmis alors que je devrais en être fière, autant que je suis fière de toi. Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues à elle aussi. Mais pour une fois, ça n'était pas la douleur qui en était responsable, mais quelque chose de plus profond. Je t'aime mon amour. Tu es la plus belle chose qui ne me soit jamais arrivée. Et sans notre don, jamais je n'en n'aurais pris conscience. Cela aurait été comme avoir le mets le plus délicieux jamais préparé à côté de soi alors que l'on meurt de soif et non de faim. Un sourire illumina son visage. Recevoir du pain quand l'on est assoiffé, c'est donc ça leur vie... se disait-elle à elle-même. Martinus ne comprenait pas le sens de ses paroles. La maladie devait lui faire perdre la raison. Comment, elle, qui avait tant souffert tout au long de sa vie, et plus récemment encore plus à cause de sa maladie, pouvait-elle de nouveau parler de cadeau ? Et ces paroles sur des hommes assoiffés... Du pain pour de l'eau... Elle commença à rire. Je t'aime mon amour, mon chéri , mon trésor... Martinus la supplia de rester, de ne pas le laisser seul. Du pain pour de l'eau... Elle était venue au monde sous une pluie de pleurs, elle en repartit sur un éclat de rire. 

Le FardeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant