Martinus commençait enfin à s'accepter tel qu'il était. Oui, il était différent. Oui, cette différence lui avait d'abord paru un handicap, mais il voulait faire honneur à sa mère et avait donc décidé de maintenant essayer de voir les choses différemment. Au début, cela avait été compliqué. Le deuil le rongeait encore. Puis, à force de rester seul toute la journée, il avait commencé à réfléchir et à observer les autres. Il voyait leurs visages aussi expressifs que celui de l'ancien chef d'Etat américain orange qui avait sa photo dans leurs manuels d'histoire à côté de celle de Kasimir Pouline ou quelque chose comme ça ; l'ancien dictateur russe. Il les voyait aussi travailler sans aucune seconde de répit, toujours à apprendre, encore, encore et encore. Le midi, ils mangeaient toujours tous la même nourriture que leur voisin, et toujours la même que la veille et que celle du lendemain. Il les voyait se blesser sans même sourciller. Et le soir, au moment de quitter le lycée, ils prenaient tous leur temps et ne montraient aucune joie d'avoir enfin terminer la journée. Et c'est ainsi que Martinus commença à changer sa vision des choses. Un visage expressif, quand bien même se fut pour montrer une peine intense, ne valait-il pas mieux qu'un visage impassible ? S'ennuyer et souffrir pendant les moments d'études, n'était-ce pas ce qui permettait de profiter des pauses et des moments de calme ? Déguster des choses bonnes et variées, n'était-ce pas ce qui permettait de franchir le pas entre le « besoin » de manger et le « plaisir » de manger ? Souffrir d'une blessure ou d'une maladie, n'était-ce pas pour cela que l'on savourait la chance d'être en bonne santé ? Et rentrer épuisé le soir du lycée, n'était-ce pas ce qui lui permettait une fois de plus de savourer le confort de sa chambre et de ses occupations ? Finalement, c'était ce qu'il considérait comme son handicap qui était en réalité la fondation de tous ses moments de plaisir et de repos. Plus il réfléchissait, plus il s'acceptait et comprenait sa mère. Et plus il s'acceptait, plus il était heureux et faisait enfin son deuil.
Mais un évènement vin tout perturber.
Martinus appris un soir qu'un autre adolescent de sa classe venait de perdre son père. En entendant la nouvelle, il ne put s'empêcher de laisser couler des larmes. Bien sûr, il se trouva ridicule. Déjà car il ne connaissait pas le défunt mais aussi car son fils devait déjà bien être assez effondré comme ça sans que lui aussi n'ait besoin de l'être. Il était déjà passé par là, et même s'il ne pouvait parfaitement se mettre à sa place, il imaginait bien la peine et la douleur que devait ressentir le garçon de sa classe. Martinus s'endormit donc avec dans l'idée d'aller lui parler pour lui apporter une forme de soutien.
Le lendemain, Martinus chercha le garçon à l'école, bien qu'il se dît que celui-ci serait peut être resté chez lui à cause de son chagrin. Mais il était bien là, assis à sa place habituelle en train d'apprendre une quelconque leçon. Martinus n'en revenait pas. Aucune trace de tristesse, rien. Il agissait comme tous les jours, comme si rien ne s'était passé. Même perdre son poisson rouge aurait procuré à Martinus plus de peine que n'en ressentait son camarade. D'abord il le dégouta. Comment pouvait-il rester si insensible à la mort de son père ? C'était tout simplement horrible, monstrueux, indécent,... ! Puis, il se rendit compte que sous cette colère se cachait en réalité autre chose : de la jalousie. Il enviait son camarade et son manque total de sentiments. Si seulement lui aussi avait pu être normal et réagir ainsi à la mort de sa mère, alors jamais il n'aurait connu tout cet enfer qu'avait été le sien pendant plusieurs années. Jamais il n'aurait souffert comme il avait souffert ! La peine, la tristesse, la douleur, le chagrin, les larmes, le deuil, la colère, etc, tous ces maux qui avaient été les siens depuis si longtemps et s'incrustaient dans son quotidien comme un véritable tourbillon, jamais il n'aurait eu à leur faire face.
C'est comme ça que tous les espoirs de Martinus et son acceptation de soi s'évanouirent en un claquement de doigts, et que les sentiments redevinrent son fléau.

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Le Fardeau
Short StoryUne courte nouvelle sur l'histoire d'un jeune enfant pas comme les autres : dans un futur où plus personne ne ressent ni émotion ni douleur, le jeune Martinus lui, ressent absolument tout. Visiblement pour son plus grand malheur...