Martinus poussa la porte de son domicile. Il rentrait de son travail. Après avoir finit ses études et obtenu les diplômes nécessaires, il avait enfin pu devenir professeur. Bien sûr, pas l'un de ces conférenciers ennuyeux qu'il avait écoutés pendant des cours qui lui paraissaient si longs qu'il lui avait semblé que ses années universitaires avaient duré des décennies. Non, à sa grande surprise, lui qui avait pourtant été si malheureux durant son enfance, eu l'envie de retourner sur les bancs de l'école, ou plutôt au-devant des bancs. L'idée lui était venue un soir, alors qu'il réfléchissait à la manière dont il pourrait mettre ses « particularités » à contribution. Il avait d'abord pensé à médecin, car il aurait pu sauver des vies et soigner des gens, pouvant ainsi prendre d'une certaine façon sa revanche sur le délaissement qu'avait subit sa mère lorsque sa santé était au plus bas. Mais il n'était pas convaincu. Les études étaient très longues, très dures, et même quelqu'un sans sentiment pouvait faire un très bon médecin, car il ne s'agissait au final que d'une manière scientifique et objective. Non. Il devait trouver une autre voie. Un métier où il pourrait faire avancer les choses. Un métier où il pourrait apporter de la lumière là où il y avait encore les ténèbres. Un métier où il pourrait montrer ses valeurs et ce qui était important à ses yeux. Et c'est comme cela que l'idée lui vint naturellement : professeur. Il craignait au début, de peut être s'être trompé de voie et de ne pas être fait pour ça. Il s'imaginait les pires scénarios possibles avec les enfants, il redoutait les examens, il avait peur de mal s'y prendre pour enseigner, etc, etc. Désormais, avec plus d'une vingtaine d'années d'enseignement derrière-lui, repenser à toutes ces craintes le faisait rire tant il sous-estimait son potentiel. Car on ne parlait plus là de médecine et de rigueur scientifique, non !, on parlait là d'apprentissage et de contact humain. Et peu importe ce que l'on pouvait en dire, Martinus comprenait aujourd'hui que seul quelqu'un avec des sentiments et de l'attention pour les autres pouvait accomplir au mieux ce merveilleux métier. Lui-même aurait rêvé, durant son enfance, avoir un professeur qui se serait intéressé à lui et l'aurait aidé à aller mieux. Quelqu'un qui aurait été là pour lui dire Non, tu n'es pas plus mauvais qu'un autre ou Non, tu n'es pas différent. Qu'est-ce que le fond sans la forme ? Rien. Voilà pourquoi il était heureux aujourd'hui de se lever chaque matin pour aller travailler. Bien sûr, ses élèves ne ressentaient toujours aucun sentiment, mais lui avait l'impression, au plus profond de lui, de servir à quelque chose et c'était là le plus important. S'il pouvait transmettre ses valeurs à ses élèves et peut être qui sait !, par ce faire aider un jour un enfant qui serait dans la même situation qu'il l'avait été lui-même bien longtemps auparavant, alors il s'en trouverait comblé.
Martinus, en poussant la porte donc pour rentrer chez lui, eu à peine le temps de faire un pas que Tristan, l'un de ses deux fils, lui sauta dessus. Les mèches blondes qu'il avait héritées de Jerevan lui chatouillèrent la joue. Dans un éclat de rires, il embrassa tendrement son fils. A la joie manifeste de Tristan devant le retour à la maison de l'un de ses pères, il est inutile de préciser qu'il avait hérité des « particularités » de Martinus. Carson lui, son deuxième fils, était beaucoup plus réservé et proche de Jerevan. Pourtant, Martinus aimait autant chacun de ses deux fils qui étaient tout pour lui. Son aménagement avec Jerevan et le fait de voir que leur couple marchait à merveille avait été la première réelle marche du bonheur, et la naissance de leurs enfants une euphorie sans nom. Il prenait soin d'eux comme de la prunelle de ses yeux. Mais sa plus grande fierté dans leur éducation, avait été de ne pas reproduire l'erreur de sa mère. Martinus avait mis au courant Tristan de leurs « particularités » dès son plus jeune âge. Il ne pouvait aussi que remercier Jerevan de sa compréhension et de son altruisme. En effet, malgré que lui ne ressentait pas les émotions, il essayait de tout faire pour partager des moments complices avec Tristan. Bien sûr, au début, cela n'avait pas été facile. Martinus se souviendra par exemple toujours du chagrin immense qu'avait ressentit Tristan à la mort de leur premier chat et de la réaction de Jerevan : celui-ci, ayant confondu les pleurs entrainés par un rire avec ceux causés par la tristesse avait alors rit à gorge déployé lorsque Tristan était venu le trouver pour trouver du réconfort dans cette terrible épreuve. Mais c'était du passé, et Martinus était fier de dire que Jerevan avait fait d'énormes progrès ! Il arrivait maintenant par exemple à étirer ses lèves en un sourire presque authentique lorsqu'il voyait de la fierté ou autre sur le visage de Tristan , et il avait aussi appris à reconnaitre la plupart des traits d'esprit de son fils avant de pouvoir en rire tant bien que mal. Ainsi, à la différence de Martinus, Tristan pouvait grandir entouré d'amour et s'épanouir pleinement aussi bien dans sa vie familiale que scolaire où les efforts de son père pour rendre les autres élèves plus altruistes commençaient à porter leurs fruits. Même Carson, qui de base ne ressentait lui non plus pas les émotions, commença à lâcher par-ci par-là des sourires, des rires, ou des grimaces. En un mot, Martinus, Jerevan, Tristan et Carson formaient une famille heureuse et soudée et pour une fois, aucun retournement de situation n'était à attendre : leur bonheur serait long et immuable.
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Le Fardeau
Short StoryUne courte nouvelle sur l'histoire d'un jeune enfant pas comme les autres : dans un futur où plus personne ne ressent ni émotion ni douleur, le jeune Martinus lui, ressent absolument tout. Visiblement pour son plus grand malheur...