minuit

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Who gives a fuck about my nightmares?

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Aujourd'hui, je serai une porte. Juste pour aujourd'hui.

Et comme je suis courageux, je serai une porte de toilettes publiques.

Minuit. Mes vingt-quatre heures dans la peau, ou devrais-je dire dans le cadre d'une porte commencent. Mon premier client se présente sous la forme d'un homme grassouillet, la vingtaine, un peu bourré, effondré sur son ami, ils arrivent clopin-clopant devant moi.

Pourquoi était-il effondré? Je me le demandais tout autant que vous, chers messieurs-dames-chiens et autres pots de fleurs!

Je ne mis pas longtemps à l'apprendre. Aussitôt entré, il manqua de se cogner contre la cuvette en s'agenouillant devant et vomit tout l'alcool qu'il avait bu. Son ami le rattrape coûte que coûte et lui tient les cheveux, qu'il porte longs et soyeux.

Entre deux vomissements, je distingue trois mots: "salope", "pute", et "trompé". Son ami lui donne des tapes sur le dos. J'en conclus rapidement que l'humain vient de vivre un des moments courants de son espèce, une expérience banale mais presque tragique. Tout avait du basculer en un seul instant, et pourtant cela le marquerait des années durant, à vie peut-être. Une blessure toujours à vif, plaie laissée ouverte au gré des vents, de la pluie et des répliques cinglantes de son entourage. En des termes plus brefs, il s'était fait larguer de la pire des manières, quoique classique, par sa petite amie.

Son ami le relève: ça y est, il a fini de vomir. Le grassouillet hoquète encore de chagrin et d'alcool, du vomi et de la bave coulant aux commissures des lèvres gercées par le froid de décembre. Son ami arrache un bout de papier toilette et lui nettoie le visage. Son pouce passe accidentellement sur sa bouche. Ils se regardent un long moment. Moi qui ne suis qu'une porte, je ne peux décrire l'ambiance qui règne dans la pièce: mon omniscience a des limites!

Enfin, ils se fixent puis, perdus dans les brumes de la boisson certainement, se rapprochent lentement avant de s'embrasser doucement. Leurs mains se balladent sur le corps de l'autre, inutile de vous dire quel endroit est le plus plébiscité, je pense que vous avez déjà du deviner.

Je prie pour que personne d'autre ne vienne ici. Ces deux imbéciles ont oublié de verrouiller la porte. Une fois leur affaire terminée, l'ami du grassouillet s'affale par terre, dos contre le mur de l'évier miteux. Le grassouillet se met à côté, tête sur son torse, main dans la main. Leurs pauvres vêtements sont en boule par terre et, étant donné que personne ne respecte les toilettes publiques, ils trempent dans des flaques d'urine bio, produit frais (manière de parler) et local, approvisionnée en circuit court.

Un moment passe, une demi-heure peut-être. Une chance pour eux que personne ne soit encore là. Le grassouillet embrasse son ami à nouveau: cette fois, les langues sont de la partie. Quelques instants plus tard, un bruit détonnant résonne dans les minuscules toilettes publiques. Le grassouillet vient de vomir, directement dans la bouche de son (ex-?)ami.

Celui-ci se penche sur les toilettes pour vomir à son tour, et les rôles changent: c'est le grassouillet qui l'aide cette fois-ci. Mais l'autre le repousse, s'habille en vitesse et s'en va à grandes enjambées furieuses.

Le grassouillet reste assis au beau milieu de la rue, à moitié nu, encore dans les vapes, puis part à son tour.

Décidément, je sens que je vais bien me marrer, moi, en vingt-quatre heures.

EffaçableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant