Chapitre dix-sept

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- Attends, attends. Tu ne peux pas partir en me disant ça.

Il me rattrapa et commença à marcher en même temps que moi.

- Ecoute, si dans l'hypothèse on était amis, je te ferais forcément du mal à un moment donné. Et j'ai pas vraiment besoin de culpabiliser.

- Et comment tu sais que tu me ferais du mal ? Demanda Jay.

On se posa tous les deux sur un banc éloigné du lycée, et du brouhaha assourdissant des autres élèves.

- Parce que je suis comme ça. Je blesserai bientôt tous mes proches, et si je pouvais ne les compter que sur une main, ce serait un avantage.

- Blesser tes proches ? Parce que tu a peur ?

Je ne répondis pas et un silence s'installa entre nous.

- T'as commencé le livre de Dumas ? Dis-je enfin.

Il me fixa d'un regard interrogateur. Puis, son visage s'éclaircit et il comprit de quel bouquin je parlais.

- Je n'en suis qu'au chapitre vingt. Je lis lentement, et les écritures sont petites.

- Tu sais ce qui est arrivé à l'héroïne ?

- Marguerite ?

J'acquiesçai.

- Oui, elle est morte à cause de sa maladie.

- Mais encore ?

- Elle a été détruite par amour. Par amour pour Armand.

- Ouais. Par amour.

- Mais elle ne daigne même pas savoir à quel point Armand l'aime.

Il parlait en me regardant intensément.

- Pourtant, elle ne l'a jamais vu, et ignore même son existence, dis-je doucement.

- Mais lui connaît tout d'elle. Et il est attiré pour ce qu'elle est à l'intérieur. Pas par l'étiquette que les gens lui ont collé.

- Mais il l'a rejoint quand même dans cette chambre.

- Et il lui avoue enfin ses sentiments. Il lui dit qu'il l'aime pour ce qu'elle est, qu'il ne la laissera jamais tomber quoi qu'il arrive. Que tu peux tout lui dire.

- Mais il ne comprendrait pas, et tout ce que j'ai vécu dépasse tout ce qu'il pense.

- Il promet d'être là pour toi, quoi qu'il se passe. Il t'a raconté toute son histoire.

Il me prit la main.

- Je serais là pour toi, Lenny. Quoi qu'il advienne, je t'en fais la promesse.

Je fermais les yeux. Une larme coula sur ma joue et vint s'écraser sur mon jean. Je pouvais entendre tout les bruits autour. L'herbe bouger, le vent souffler, les pas des passants. L'air semblait lourd, et j'avais l'impression d'être collée au banc. J'avalai difficilement ma salive, et inspirai lentement.

- Mon année de seconde à bien débuté. J'avais un groupe d'amis que je connaissais du collège et avec qui avais souvent parlé pendant les vacances. Puis est venu ce jour. Ce jour était le début de tout. Sauf que tu ne le vois jamais venir. Ce n'est que plus tard que tu réalise que ton univers a bousculé à ce moment.

Je déglutis, tandis que je tournai la tête vers la rue en face de moi.

- Je suis arrivée en cours comme tous les autres jours. En rentrant dans la salle, j'entendais les gens rire. Je les rejoins, et leur demandais ce qu'il y avait. Puis, un d'eux me montra son téléphone. Je le pris entre les mains, et vis une photo. C'était une photo de moi. Mais pas le genre de photo que tu accroches dans ta chambre, ou que tu postes sur les réseaux sociaux. C'était une photo prise de ma fenêtre, où j'étais en sous vêtements. Avant que je puisse en voir plus, il me l'a pris des mains, et m'a traitée de « salope ». Les rires des autres devenaient tout d'un coup pesants, et je me sentais compressée. Je les regardais, un par un, les yeux brouillés par les larmes, cherchant un regard compatissant. Mais tout ce que j'entendais, c'était leur haine mesquine dirigée vers moi. J'ai quitté la salle, me disant que je devais quitter cet endroit avant que les photos parviennent aux autres élèves. Mais quand je suis arrivée dans le couloir, tout le monde s'est retourné vers moi, m'a pointé du doigt, et s'est mis à rire. Je me sentais faible, petite, ciblée. J'ai commencé à courir à travers cet interminable couloir, et les adolescents étaient comme ce sol, qui tombe juste avant que tu saute pour te retrouver en sécurité. Sauf que je ne voyais pas cette sécurité.

Les larmes défilaient sur mes joues a mesure que je racontais ces souvenirs. Je les essuyai  d'un revers de mon bras, et me tournai vers Jay.

- Je suis rentrée chez moi en pleurant, me sentant nue face aux regards des passants. J'avais peur, à chaque coin de rue, de croiser un lycéen qui se moquerait de moi. Quand mes parents sont rentrés du travail, ils n'ont bien sûr rien remarqué. Ils ne m'ont pas demandé comment j'allais, ni comment s'est passée ma journée. En rentrant dans ma chambre, je n'ai pas osé me déshabiller. Je me suis couchée habillée. Je n'ai pas dormi de la nuit, appréhendant le lendemain avec peur.

Jay m'écoutait sans ne rien dire, et clignait souvent des yeux. C'était un signe d'anxiété, et je le connaissais bien.

- Que le jour est venu, je me suis dirigée vers le lycée, sachant pertinemment que les gens n'avaient pas oublié. On aurait pu penser que j'étais courageuse, mais je ne l'étais pas. Quand je suis rentrée dans l'établissement, personne ne s'est retourné vers moi, n'a rit, ce qui m'a soulagé. Jusqu'à ce que ce garçon arrive. Il est passé, sans rien dire. Puis, j'ai senti une pression. Une main se poser. Et elle ne se posait pas sur mon bras, non. Elle se posait sur mes fesses.

Jay serra les dents. Sa mâchoire se contracta.

- Je n'ai rien dit, et rien fait. Je suis restée immobile, étant pétrifiée. Puis, il m'a chuchoté, ou plutôt craché « la photo était meilleure ».

- Putain, souffla-t-il.

- Le jour suivant, alors que j'étais en train de marcher, un garçon m'a poussé violemment contre un casier. C'était un ami de l'autre. Ils n'y avait personne dans les couloirs, il pouvait donc faire ce qu'il voulait de moi. Je lui ai soufflé un « pourquoi ? », et il m'a donné un fort coup de pied dans le ventre. J'ai crié de douleur, mais personne n'est venu. Le garçon est parti, me laissant allongée par terre. J'ai hérité d'un bleu géant sur le bras et sur le ventre, mais je l'ai caché. Suite à cela, les jours suivant se sont tous ressemblés. On m'a insulté, touché le corps, parfois bousculé. Je n'ai jamais rien dit, jamais rien fait. J'ai enduré ce malheur seule.

Ma voix tremblait à ce dernier mot.

- Mais la solitude n'était à son apogée qu'après tout ça. Les bousculements et insultes ont cessé lentement pour laisser place à... Rien. Je suis restée sans personne pendant un mois. Rien ne s'est passé, mon nom n'entrait dans aucune conversation. Je marchais seule, mangeais seule, m'asseyais seule, vivais seule. J'attendais que ça se passe. J'en venais à ne plus rien penser, à ne plus rien manger, et à ne plus rien ressentir. Ce troisième point a mené ma conscience à faire des choses vraiment stupides que je ne peux plus effacer aujourd'hui.

CondamnéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant