Shizuhono et Okosawa

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Les jours se sont lentement écoulés depuis cette nuit-là. Les températures atteignaient les 22 degrés en plein soleil, ce qui était exceptionnel pour un mois de mai.

Je passais le plus clair de mon temps au cimetière des autobus. Je me sentais apaisé au sein de ces carcasses, empilé les unes sur les autres, à l'abri des regards. Reclus dans ma base secrète, j'ai rassemblé à l'intérieur l'argent que je gagnais tous les soirs à l'Eden Arcadium et toutes les informations sur Shizuhono et Okosawa. Transmission radio, articles de journaux, magazines... Absolument tout. Malheureusement, pas beaucoup de médias en parlaient et leurs contenus étaient plutôt terre-à-terre, mais ce que j'ai pu trouver était suffisant pour en avoir une bonne base.

Ces deux lieux se situent dans la région du Kansai, dans la préfecture de Kyoto. La ville d'Okosawa fut autrefois un village du nom de Kazegara, construite à plusieurs kilomètres de l'ancienne capitale impériale du Japon. Un violent incendie détruisit l'intégralité de la province durant la période Kamakura mais elle renaît de ses cendres vers 1213, renommée depuis ce jour Okosawa. Après la Seconde Guerre Mondiale, Okosawa se métamorphosa en une mégalopole resplendissante et pluriculturelle, comptant à ce jour plus de huit millions d'habitants. Shizuhono, quant à lui, est un village millénaire enfoui dans les montagnes, à l'ouest de Kyoto, de l'autre côté du Mont Arashi. En pleine campagne et entouré d'une atmosphère verdoyante, ce hameau de trois mille habitants existait à la même période qu'Okosawa, et partage ainsi une histoire commune avec la grande ville. Bien qu'isolé de toute civilisation, Shizuhono n'est qu'à une heure de trajet de sa congénère et s'est adapté à la modernité de notre siècle, tout en conservant ses traditions et son aura ancestrale.

Les éloges qui en étaient écrites ne manquèrent pas de forger mon admiration pour ces contrées. Je me plongeais avec passion dans mes recherches, si bien que je ne voyais pas le temps s'écouler. Revenant soudainement à la réalité, je regardais l'heure sur ma montre : treize heures trente.

- Mince... Je dois vite filer d'ici.

Je me levais du sol, rangeais les papiers dans un carton, éteignit la lumière et verrouillais la porte avant de remonter à la surface. Chaque deux ou trois heures, je me déplaçais d'un lieu à un autre d'Akatsuka : le pont près du canal, la salle de gym, le cinéma, l'appartement de Chibita et son stand d'Oden. Si je voulais changer mon destin, il fallait que je parte de cette ville maudite... Alors histoire de brouiller les pistes, j'ai créé une « routine » que je répétais chaque jour afin de paraître naturel aux yeux de mes proches. Je fus soulagé de voir qu'aucun gang ne traînait dans la zone du cimetière des autobus, étant dès lors le seul à connaître l'existence de cet endroit, mais je pris toutes les précautions nécessaires pour m'y rendre seulement à l'aube et sans être pris en filature.

La seule fois où mes liens de sang ont décidé de me suivre en cachette, c'était le soir du premier mai, alors que j'étais sur un pont, en train d'observer l'eau du canal. Têtus comme ils étaient, je savais que je ne les sèmerais pas aussi facilement, alors j'ai abandonné l'idée de me rendre ce soir-là à l'Eden Arcadium pour à la place les faire tourner en bourrique en me promenant çà et là dans Akatsuka. Ce jeu du chat et de la souris a duré deux jours, après cela ils ont arrêtés de jouer les espions. Il était hors de question que qui que ce soit ne découvre mon plan d'évasion, et encore moins ces cinq monstres.

La journée fila à toute allure, et avant que je m'en aperçoive, la nuit était tombée. Tandis que mes frères dormaient à poings fermés, je venais encore de gagner deux millions de yens. Je poussais un soupir de soulagement. Avec cette somme, cela faisait au total 30 millions de yens. Ce fut long, mais j'ai enfin accompli mon objectif...

Depuis cette nuit où je sus quelle était mon désir le plus cher, j'ai économisé précieusement les millions de yens gagnés à l'Eden Arcadium, histoire de ne pas me retrouver sans le sou dans la région du Kansai. 30 millions de yens était suffisant pour pouvoir me débrouiller pendant environ trois mois. Vu que Shizuhono était un village campagnard isolé de l'extérieur, je pourrais m'y installer sans que la police puisse avoir vent de ma présence. Je n'aurais alors qu'à trouver un travail à Okosawa pour gagner ma vie. Un plan parfait. Mais il était encore trop tôt pour se réjouir.

Maintenant que le problème de l'argent est réglé, il ne me reste plus qu'une dernière chose à faire... Demain, ces cinq-là ont prévu de se rendre à l'hippodrome pour parier sur les courses de chevaux, et ils ne devraient pas rentrer avant tard le soir. C'est le moment idéal pour mettre en place la dernière phase de mon plan... Et une fois cela achevé, je pourrais enfin partir d'Akatsuka pour de bon.

Je quittais l'arcade pour reprendre le chemin du logis familial. Mes souvenirs d'enfance remontèrent subitement à la surface... Toutes ces années passées à leurs côtés, à nager dans l'innocence, pour au final devenir aussi insignifiant que du vent. Si j'avais su que les choses tourneraient ainsi une fois devenu adulte... Non, si je n'avais jamais proposé mon aide au club de théâtre pour sauver la représentation de Macbeth, ce jour-là... Mon destin aurait alors été totalement différent, et peut-être que je ne serais pas arrivé à un tel stade de désespoir comme je l'ai été après mon incident. Peut-être que mes frères m'auraient ainsi accepté, comme avant... Seulement, il était trop tard pour changer le passé.

Demain, je dirais adieu à ces souvenirs qui ne m'appartiennent plus.

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