Ma tête me semblait aussi lourde qu'une pioche. J'ouvris difficilement les yeux, ayant du mal à m'extirper de mon asthénie. L'heure sur mon portable affichait huit heures du matin.
Un silence profond régnait dans la maison. Aucun bruit à l'étage au-dessus, ni dans la cuisine. Comme je le pensais, mes frères s'étaient levés très tôt pour prendre le train vers l'hippodrome. Je ne les ai pas entendu sortir ni même tenter de me réveiller tellement je fus assommé par le sommeil. Néanmoins, je ne m'en plaignais pas. Mon désir brûlant de vivre était plus fort que n'importe quel sentiment m'animant, occultant toute hésitation de mon esprit.
C'est le moment ou jamais...
Sachant mon temps compté, je pris une douche pour me requinquer et m'habilla avec mon sweat bleu habituel. Je remontais ensuite dans notre chambre et ouvrit la penderie. Chacun de nous possédait un grand bac coloré avec son nom marqué dessus, rangés en hauteur, où étaient stockés tous nos vêtements et affaires personnelles. J'effleurais du doigt la boîte de couleur bleu, située entre celle d'Osomatsu et Choromatsu. Un grand sentiment de vide m'envahit lorsque mes yeux se posèrent sur le prénom [Karamatsu]...
[Karamatsu], un prénom qui n'avait pas de sens.
[Karamatsu], un prénom que tout le monde oublie.
[Karamatsu], un prénom appartenant à une personne qui n'existe pas.
[Karamatsu], un prénom qui n'a jamais été le mien.
Je pris délicatement le bac entre mes mains, puis le retourna à l'envers pour le vider de son contenu. Je filai ensuite à la cuisine chercher un vieux sac usagé dont nous n'avons plus l'utilité. Une fois cela fait, je retournais dans la chambre y ranger toutes mes affaires éparpillées par terre : chemises, vestes, pantalons, uniforme, vêtements à paillettes, chaussures, lunettes de soleil, accessoires... Subitement, je m'aperçus de l'absence de ma guitare. J'eus alors un pressentiment... J'ouvris la fenêtre et regardait en direction du jardin. L'herbe verte laissa éclater sa couleur avec les rayons du soleil, et l'air frais chargé d'humidité se faufila dans mes narines. Une forme noire se distingua soudainement près du mur en bois... Et je ne mis pas beaucoup de temps pour savoir de quoi il s'agissait : ma guitare, détruite, les cordes scindées et le manche parti, gisant sur le sol tel un cadavre. J'ai poussé un soupir d'exaspération.
- Bande de connards. Sifflais-je entre mes dents.
Je fermais la fenêtre avec fracas. Certes, j'étais dégoûté de voir mon ancien instrument dans cet état déplorable, mais je ne le vivais pas comme une immense perte car j'en avais acheté une neuve il n'y a pas longtemps. On dirait que j'avais bien anticipé mon coup... Après avoir poussé un nouveau soupir, je pris le sac et sortis de la maison, jetant du même coup les restes de ma vieille guitare à la poubelle. Je pris la direction du cimetière des autobus pour retirer le carton où étaient soigneusement rangé toutes mes recherches sur Okosawa et Shizuhono. Si jamais la police tombe sur cet endroit dans l'éventualité de me retrouver, il ne doit y avoir aucune trace de mon passage ici.
Je remis ma base secrète à son état d'origine, puis remonta à la surface. Je me dirigeai par la suite vers une ancienne bâtisse délabrée de la zone. Ce fut autrefois une ancienne métallurgie, mais elle fit faillite et a dû licencier une grande partie de ses employés avant de fermer. Le bâtiment n'était pas bien grand et entièrement vide, mais il demeurait quelques vestiges laissés à l'abandon, notamment des réserves de pétroles. Et c'était exactement ce dont j'avais besoin...
Etant donné la vétusté des lieux, je dus forcé quelques portes pour pouvoir accéder au toit. La brise rafraichissait ma peau, et les nuages s'accumulèrent au-dessus de ma tête. Nul doute qu'il allait commencer à pleuvoir. Je place le carton et toutes mes vieilles affaires en un gros tas, puis les arrosaient de pétrole. Je sortis enfin un briquet de la poche de mon pantalon et l'alluma... D'un geste vif, je jetai l'objet enflammé sur la pile noirâtre à mes pieds. Une lueur flamboyante m'aveugla pendant une seconde et l'air empesta très vite le brûlé. Pris de court, je m'éloignai aussitôt de la source de chaleur. Sans avoir eu le temps de cligner des yeux, des flammes incandescentes s'élevèrent à l'endroit même où se trouvaient les éclats brisés de mes désillusions. Mes recherches furent entièrement consumées, et il ne fallut pas longtemps pour que les vêtements en fassent de même. Le tissu se calcina lentement, tournant en un gris âpre, les paillettes bleues éclatèrent telles des petits feux d'artifices et leurs craquements s'entremêlèrent avec le crépitement du feu.
... C'est fini. En cet instant, [Karamatsu Matsuno] a cessé d'exister.
Par un hasard presque divin, une pluie torrentielle s'abattit sur Akatsuka et la zone industrielle. Les flammes rougeoyantes déployant leur toute puissance moururent silencieusement sous les gouttelettes d'eau. Ne restèrent derrière elles que des cendres noires, balayées d'un coup de revers par le vent tumultueux. Je restais assis par terre, plongé dans un état second, mon corps engourdi par le froid... Une vague d'hilarité me remonta soudain le long de la gorge. Ce fut plus fort que moi, je la laissai éclater. Levant les yeux vers le ciel, je hurlais de rire. Un grand sourire étira mes lèvres, tandis que je reprenais peu à peu mon souffle.
- C'est ce que j'aurais dû faire depuis longtemps... J'aurais dû tuer [Karamatsu Matsuno] dès l'instant où je suis devenu un adulte.
Voilà la seule option que j'avais pour mettre fin à cette vie d'infortune : disparaître à jamais de la mémoire des personnes que j'ai autrefois côtoyé. Maintenant, les sextuplés Matsuno ne sont plus... Et c'est très bien comme ça.
La pluie s'est arrêtée. Je retournais à l'intérieur de l'ancienne métallurgie pour me sécher. Mon esprit s'embruma de pensées... J'avais suffisamment d'argent pour vivre, brûlé toutes les preuves physiques permettant de remonter jusqu'à moi... Mon plan s'est déroulé à la perfection. Seulement, je ne pouvais pas m'évaporer en plein jour comme ça. Ce serait trop suspect. Je prévus donc de prendre la fuite pendant la nuit.
Quoi qu'il puisse arriver à présent, je ne me découragerais plus.
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Fragments
Fanfiction"Jamais le soleil ne verra ce demain." - Lady Macbeth Prétendre, porter un masque et afficher un sourire de façade. Jour après jour, telle une litanie. Jusqu'à ce que le monde perde ses couleurs, et que la réalité se révèle plus froide encore que la...