Sous une nuit noire

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Neuf jours se sont écoulés depuis l'incident. J'avais plus ou moins réussi à me ressaisir pour avoir de nouveau la volonté de sortir et revoir la lumière du soleil.

Je suis parti de l'appartement de Chibita aux premières lueurs de l'aube. Cette sombre période m'avait laissé à bout de forces, si bien que je manquais de m'évanouir à chaque instant à cause de vertiges. Malgré mon corps émacié, mes pas se faisaient lourds sur le bitume. Le printemps avait pris fin, et la brise caressant ma peau annonçait l'arrivée de l'été.

Je n'avais aucune envie de rentrer à la maison, alors j'ai marché dans les rues vides d'Akatsuka en traînant les pieds, jusqu'à ce que je tombe sur un petit marché matinal. En flânant dans les étals, j'ai gagné un portable dernier cri et un MP3 en jouant à une loterie. Heureux de ce coup de chance inopiné, je me suis précipité dans un magasin de musique pour télécharger quelques morceaux, puis je suis parti m'enfoncer dans une ruelle qu'Ichimatsu ne fréquentait que très rarement pour m'isoler en paix dans ma bulle musicale. J'étais resté ainsi toute la matinée, puis j'ai passé le reste de la journée à me balader çà et là dans la ville, sans croiser une seule fois le chemin de ces monstres aux mêmes visages que le mien.

Vers la fin de l'après-midi, je m'étais finalement décidé à rentrer chez moi, plus par ennui que par réel désir de retrouver ma famille. Lorsque j'étais arrivé devant la porte de la demeure de mes parents, il faisait nuit noire. Je suis resté planté comme un pic face à l'entrée de la maison, à peser le pour et le contre pour savoir si je devais toquer ou non. La réponse ne se fit pas attendre quand Osomatsu apparut brusquement, accompagné de tous les cadets. En jetant un rapide coup d'œil sur ce qu'ils avaient dans les mains, à savoir leurs seaux et leurs shampooings, je compris qu'ils étaient simplement prêts à partir pour le bain public.

Évidemment. Pensais-je avec lassitude.

- Karamatsu ? S'exclama Osomatsu en me regardant avec de grands yeux. Visiblement, il semblait se souvenir qu'ils étaient des sextuplés et non des quintuplés. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai vu.

- Karamatsu nii-san ? C'est Karamatsu nii-san ? Cria Jyushimatsu, tout au fond du groupe, n'arrivant pas à me voir.

- Baisse le ton, Jyushimatsu. S'exprima Choromatsu, sur le ton de l'agacement. Où étais-tu passé, Karamatsu ? Et pourquoi tu es resté planté devant la porte comme ça ?

Je les aie ignorés.

J'ai poussé Osomatsu, puis je me suis frayé un chemin entre eux avant de monter à l'étage sans leur adresser ni un mot ni un regard. Je les aie ignorés de la manière la plus froide et insensible possible.

S'ils m'ignorent, alors à quoi bon leur parler ? S'ils me considèrent comme une nuisance, alors à quoi bon rester ensemble ? S'ils ne se préoccupent pas de moi, alors à quoi bon me préoccuper d'eux ? S'ils me détestent, alors à quoi bon les aimer ?

Depuis ce jour-là, je n'ai plus jamais passé du temps avec mes frères.

Je terminais les repas avant tout le monde et je quittais la table sans dire « merci pour le repas ». Quand je sortais, je partais sans dire « j'y vais » et je rentrais à la maison sans dire « je suis rentré ». Je n'allais plus au bain public avec eux, n'y allant qu'une fois qu'ils avaient terminé. Je ne portais plus de vêtements extravagants (dont mon Style Parfait) ni mes lunettes de soleil, revêtant uniquement mon sweat bleu. J'ai jeté mon miroir et j'ai perdu toute envie de jouer de la guitare sur le toit de la maison. Lorsque l'un d'entre eux essayait de me parler, je l'ignorais soit en m'en allant sans dire quoi que ce soit, soit en faisant mine que je ne l'écoutais pas. Je m'étais complètement détaché de mes frères, faisant bande à part – j'avais même cessé de dormir dans le même futon qu'eux pour m'endormir tout seul dans le salon.

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